Django - AfficheLorsque que Tarantino l’a annoncée, la nouvelle n’a surpris personne. En effet, proclamer que son prochain film serait un western, de surcroit spaghetti, n’était que le prolongement de ce qu’avait entamé le cinéaste avec Kill Bill puis, de manière plus flagrante encore, Inglourious Basterds. Il faut dire que si ces deux films rendaient chacun hommage a un genre bien spécifique (le film d’art martiaux période Shaw Brothers pour le(s) premier(s) et le film de guerre made-in Hollywood pour le second) bien distincts du western spaghetti, le résultat, passé à la moulinette Tarantino, en avait pourtant le goût et l’odeur : nombreux emprunts référencés à Sergio Leone, omniprésence des musiques d’Ennio Morricone dans la B.O, esthétique et cadrage de western à l’italienne appliqués à d’autre genres, thématique de la vengeance sous influence transalpine, goût de la satire et de l’ironie mordante … La liste est longue et parfaitement représentative de l’amour que voue Tarantino au genre. Ainsi, la promesse faite par ce dernier de s’attaquer enfin de manière frontale au genre qu’il détourne depuis tant d’années ne pouvait manquer d’attiser la curiosité, que ce soit des simples cinéphiles, de ses fans acharnés ou bien encore des passionnés du western « all’ italiana ». De plus, la décision prise par Tarantino de traiter de l’esclavage, sujet toujours très sensible aux États-Unis, rendait le projet ambitieux mais risqué et paradoxalement laissait penser que seul un cinéaste disposant de sa liberté de ton et d’action était à même d’en éviter les écueils majeurs.
En effet, au regard du résultat final, il est aisé de constater que la thématique de l’esclavage s’inscrit de manière idéale dans les cadres du western spaghetti et du « revenge movie », formes que Tarantino affectionne tant. Loin des visions volontairement naïves et  romantiques (rares de surcroît ) véhiculées par Hollywood durant les années 30 à 60 avec des films comme Autant en Emporte le Vent (1939), le récit de Django Unchained en prend le contrepied, nous narrant l’histoire d’esclaves tellement humiliés et persécutés qu’ils ont soif de vengeance encore plus que de liberté. Cette idée est d’ailleurs mise en avant dès les premières minutes du métrage, lorsque des esclaves ayant un de leurs bourreaux à leur merci commencent par aller le tuer avant même de penser à lui prendre les clés de leurs fers. Le message est alors clair  et double : le concept de liberté pour les esclaves est encore loin d’être acquis et l’histoire à laquelle nous allons assister est le récit d’une vengeance. Ce choix narratif est une belle prise de risque pour Tarantino, qui a comme intention clairement affichée de marquer les esprits et de faire s’interroger un pays sur la naissance de son multiculturalisme. Le résultat débouche sur un film acerbe, tranchant comme une lame de rasoir et qui refuse de manière radicale le politiquement correct et la compassion bienveillante.

Django 1

Avec Inglorious Basterds, en 2010, Quentin Tarantino avait abordé un nouveau tournant dans sa filmographie : terminé l’éclatement du récit et la déconstruction de la narration. De ce jeu, de cette manie scénaristique ne subsistait encore qu’un découpage en chapitres au service d’un récit qui s’inscrivait dans une continuité narrative mais pas temporelle. Dans Django Unchained, Tarantino est définitivement passé a un récit purement linéaire et sans fragmentation, tout du moins apparente. Car si il a choisi d’épurer sa narration afin de s’effacer devant son sujet, on peut néanmoins constater que le métrage peut se diviser en trois parties : trois parties thématiques représentant l’évolution du personnage de Django mais également trois parties représentant trois influences cinématographiques différentes.
Ainsi la première, la plus classique, tant dans sa représentation que dans son récit, sert d’exposition  au récit puis nous présente, comme dans beaucoup de western de l’époque classique, l’entraînement du personnage par son mentor (ici Django et le Dr Schultz). Si ce n’est l’apparition de la traite des noirs aux États-unis comme moteur du récit, elle fait directement référence au western américain de l’âge d’or d’Hollywood, que ce soit dans les péripéties ou bien dans l’esthétique présentée : bourgade typique avec son saloon, chevauchées à travers des paysages volontairement stéréotypés, plan sur un coucher de soleil devant lequel les silhouettes des protagonistes se détachent… autant d’éléments que n’auraient pas renié John Ford ou Howard Hawks. Dans la deuxième partie on entre enfin dans le vif du sujet : on nous présente l’intrigue principale et le chemin vers sa (presque) résolution. C’est à ce moment que Tarantino choisit d’utiliser le western spaghetti ; les clins d’oeil nostalgiques laissent progressivement la place à la vision de l’ouest à l’italienne : ton satirique, cynisme, humour noir, violence … sans oublier les personnages, tout droit sortis de l’iconographie transalpine. On peut d’ailleurs observer que même si Tarantino se réclame d’avoir pour maitre Sergio Leone, c’est à un autre pilier du western spaghetti qu’il rend ici hommage.  En effet, le film est truffé de références au deuxième Sergio du western italien : Sergio Corbucci (le troisième et dernier étant Sergio Sollima) ! Il a notamment réalisé Django (1966), auquel le titre du film de Tarantino ainsi que sa chanson d’ouverture (le thème du film original) sont un clin d’œil. On retrouve également de nombreuses références à d’autres de ses films emblématiques comme Le grand silence (1968), avec la séquence où Django et le Dr Schultz exercent le métier de chasseurs de primes dans des paysages enneigée, ou El Mercenario (1968), dont le personnage central Sergei Kowalski dit « le Polack », mercenaire/chasseur de prime polonais, partage beaucoup de points communs (notamment au niveau du comportement et de l’apparence) avec celui du Dr King Schultz, dentiste d’origine allemande. On peut également y noter un sympathique caméo de Franco Nero, interprète du Django original qui nous prouve qu’à 71 ans il est toujours la classe incarnée avec un chapeau !
Enfin, la troisième partie nous apporte ce que le film nous promet depuis le début : l’accomplissement de la vengeance de Django. Cette ultime partie, volontairement percutante de par la rupture qu’elle introduit dans le rythme du récit, lorgne cette fois du côté de la blacksploitation, en raison de son extrême violence et de sa focalisation sur le personnage de Django et son désir de vengeance. Néanmoins, là où Django Unchained, à l’instar d’Inglorious Basterds, diffère des autres films de Tarantino, c’est dans le fait que ces trois influences principales, même si elle possèdent chacune leur partie dédiée, se fondent avec une alchimie remarquable tout au long du métrage  pour finalement atteindre une symbiose parfaite. On assiste ainsi  à un spectacle  d’une vraie cohérence qui évite le coté « patchwork de pièces rapportées », principal défaut de certaines des œuvres précédentes de Tarantino, et qui contribue à la mise en valeur du propos.

Django 2

Il serait dommage de parler de Django Unchained sans parler de tout le soin apporté à d’autres points du métrage. Que ce soit par l’image ou bien par le son, Tarantino veut que le spectateur se souvienne de son film et il ne fait pas les choses à moitié. Ainsi il nous gratifie d’une des plus belles et des plus originales scène de gunfight de ces dernières années. À l’aide d’un design sonore parfaitement maitrisé, d’un découpage d’une rare précision et de ralentis magnifiques, il met en scène une séquence d’une pure folie visuelle qui nous immerge complètement dans la scène qui se déroule sous nos yeux incrédules : les balles sifflent et ricochent, traversant les corps et les murs de manière irréaliste, les armes crachent du feu et de la poudre sans discontinuer, tout le monde tire sur tout le monde et beaucoup tirent sur personne, le sang gicle à en repeindre les murs, ça beugle, ça jure, ça s’agite dans tous les sens avec une bonne dose d’humour noir en prime, bref ça vous cloue à votre siège jusqu’à ce que la folie retombe.
Ces qualités de mise en scène on les retrouve d’ailleurs tout au long du métrage avec notamment un découpage ultra-perfectionné, des cadrages aux petits oignons (dont beaucoup nous renvoie à l’iconographie propre aux westerns spaghettis) et une poignée de zooms bien sentis et de ralentis « juste-ce-qu’il-faut » qui donnent un cachet sublime à l’action. Toute ces qualités sont enveloppées dans la photographie magnifique de Robert Richardson, directeur photo attitré de Tarantino, qui rend les couleurs éclatantes et sublime les costumes, les décors et les paysages magnifiques présentés tout au long du périple.
Il faut également ajouter un travail de grande qualité sur le son, parfaitement adapté au sujet : les fers bruissent, les claquements de fouets, leitmotivs sonores du film, résonnent tel des détonations et les coups de feu sont volontairement sur-mixés dans le but de les rendre plus percutants et de restituer la violence des affrontements. De plus on ne peut que louer le génie de Tarantino en ce qui concerne le choix de ses musiques : Ennio Morricone, Luis Bacalov, Riz Ortolani, Jerry Goldsmith… tant de compositeurs de renoms dont il a été chercher les pépites musicales plus ou moins connues pour donner à son métrage une ampleur émotionnelle rarement atteinte au cinéma. Il est amusant de noter qu’avec Django Unchained, il a enfin pu concrétiser un rêve de gosse qu’il poursuit depuis longtemps, à savoir d’inclure dans sa bande-son une musique originale que Ennio Morricone aurait composé spécialement pour l’occasion. C’est désormais chose faite avec la magnifique chanson intitulé Ancora Qui (chantée par une chanteuse italienne du nom de Elisa) que l’on peut entendre lors d’une scène où les domestiques de Calvin Candie dressent la table pour les invités de leur maître.

Django 3

Enfin, si le récit de Tarantino a autant d’ampleur et de crédibilité cela repose en grande partie sur une belle brochette d’acteurs très talentueux. Christoph Waltz est parfait en chasseur de prime facétieux et livre une interprétation tout en subtilité d’un homme délicat et cultivé, brisé par le fait d’être entouré d’individu aussi violents, racistes et pervers. Sa facilité d’élocution naturelle et son accent germanique précis sont d’ailleurs parfaitement mis à profit par Tarantino pour renforcer le côté fantasque du personnage, donnant lieu à plusieurs reprises à des gags hilarants. Leonardo DiCaprio trouve un rôle de composition à sa mesure et incarne avec un naturel glaçant toute la folie et la perversité d’un esclavagiste convaincu du bienfondé scientifique de ses thèses racistes. Enfin, Jamie Foxx et Samuel L. Jackson montrent tous les deux un talent certain, notamment dans l’interprétation schizophrène (mais pas pour les mêmes raisons) de leur personnages respectifs. C’est d’autant plus méritoire que leur rôles sont les plus durs, notamment en raison des thématiques qu’ils abordent. Toujours est-il que tout ce petit monde prend à malin plaisir à faire vivre ces personnages sur l’écran et fait preuve d’une complicité évidente.


En 1858, dans le Sud des États-Unis, quelque temps avant la guerre de Sécession, un ancien dentiste allemand reconverti en chasseur de primes, le Dr King Schultz, libère Django, un esclave, et le forme afin de lui permettre de l’assister dans sa tâche, puis pour le remercier décide de l’aider à libérer sa femme des mains de Calvin Candie, un riche et impitoyable propriétaire terrien du Mississippi.


Avec Django Unchained, Quentin Tarantino délaisse le cinéma potache pour une œuvre plus mature, plus réfléchie. Porté par l’ingéniosité de son scénario, la puissance de sa mise en scène, les performances incroyables de ses acteurs et l’amour inconditionnel qu’il voue au western spaghetti, il réalise ici un de ses meilleurs films tout en portant un regard très intéressant sur l’un des plus grand tabous de la société américaine. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Tarantino se met lui même en scène à la fin de son film, se faisant tuer de manière frontale par Django. Le message est clair : même si il garde sa personnalité, il choisit de s’effacer devant la puissance de son récit et laisse évoluer son personnage car, après tout, qui de mieux placé que Django pour donner une conclusion digne à sa propre histoire ?
Titre Français : Django Unchained
Titre Original : Django Unchained
Réalisateur : Quentin Tarantino
Acteurs Principaux : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio
Scénario : Quentin Tarantino
Photographie : Robert Richardson
Compositeur : Divers
Durée : 02h44
Sortie en Salles : : 16 Janvier 2013

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