L'écume des jours - AfficheAujourd’hui, l’on dit souvent que le phénomène d’adaptation rend le cinéma pauvre, et que par conséquent il semble incapable de se construire lui-même autrement que par la littérature. Et pourtant, certains livres semblent encore attendre inlassablement l’instant où les cinéastes qui leurs étaient destinés viendraient à s’arrêter le temps d’un film, sur eux. L’écume des jours de Boris Vian n’était pas de prime abord l’un de ces romans, car un récit hors-normes appelle à être travaillé par un homme hors-normes. C’est ainsi que Michel Gondry c’est annoncé, comme cet homme en marge de la société et pourtant réaliste sur son contenu, et par conséquent capable de mettre en image l’absurde et l’inadaptable.
Le cinéaste qui avait déjà laissé divaguer son imagination à travers La Science des Rêves, nous ouvrant l’hémisphère gauche de son cerveau, revient alors sur un film paradoxalement plus personnel et aboutit que ce dernier. Car L’écume des jours, au-delà de la profondeur de ses ambitions, de son rôle de vilain petit canard du cinéma français, fils bâtard de la performance artistique et du cinéma, s’avère être un film osant prendre son spectateur à rebrousse poil, le mettant dans une position inconfortable afin de mieux le mettre en face de certaines réalités. Que ce soit dans aussi bien dans son image que dans sa composition du cadre, Michel Gondry, laisse place à l’artiste, celui qui, il y a encore peu de temps, divaguait dans les couloirs du centre George Pompidou, celui qui, par une imagerie plastique impénétrable, rend compte de la société qui l’entoure par des substituts humbles et poétiques.
Michel Gondry explore alors le monde tout comme Terry Gilliam avait su le faire il y a presque une trentaine d’années en signant Brazil, et par le même outil que celui-ci, confirme son génie artistique.

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Les machines à écrire s’élancent, et d’un fil unique se forge l’histoire de Colin, ainsi s’ouvre le film. Alors que Boris Vian s’amusait à imaginer ce que serait notre société, assaisonnée d’un brin de folie, par la plume, Michel Gondry se fait son interprète par l’image et nous offre un constat, sorte de regard précis sur la société qui est née de ces rêves : « ce sont les objets qui changent, pas les gens » ainsi est cité l’auteur.
Michel Gondry s’est toujours amusé à jouer avec les sentiments de son spectateur. Excellant dans l’épuration pour nous prendre à revers, ici le cinéaste français va plus loin, comme dis ci-dessus, le film prend son spectateur à rebrousse poil, il faut ici comprendre que le spectateur ne voit pas sa vie mise en parallèle avec l’aspect mélodramatique de la romance en putréfaction des personnages de Colin et Chloé. Le spectateur assiste tout comme les personnages clés à contrecœur à la disparition involontaire d’un amour pur pour lequel l’un comme l’autre sont capables de se donner entièrement. Mais cet anéantissement,  sorte de descente aux enfers trop brutale, sauvage, jouant toujours sur des artifices « gondryiesque », crée chez lui un sentiment de bouleversement plus que de rapprochement.
Malgré une première impression générale, après réflexion, il ne parait pas nécessaire d’avoir lu le roman de Boris Vian pour comprendre l’étendu du film de Michel Gondry, car le cinéaste va plus loin qu’adapter le roman, il lui offre une nouvelle identité. Ainsi, le sentiment de perte de repères pourrait être même plus fort chez le connaisseur plutôt que chez le néophyte. Le lecteur de l’œuvre de Boris Vian, et c’est l’une des raisons pour lesquelles L’écume des jours était considéré comme inadaptable, s’est amusé durant de nombreuses années à rêver le monde dans lequel progressait ce manifeste romantique.

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Certains diront surement de L’écume des jours que Michel Gondry se contente au final de faire du Michel Gondry, que le résultat qui en découle crée un aspect aseptisé empêchant le spectateur de profiter du récit et des sentiments tels que les offraient librement Boris Vian. L’argument se valide dans sa première partie, sorte de ménagerie robotique où Alain Chabat et Sacha Burdo se croisent, instruments d’une vie fantaisiste. Mais pourtant, cette image n’est que la toile dont Michel Gondry se sert comme support.
Le cinéaste ne fait en réalité que peindre ici une société superficielle, où l’accessoire a plus d’emprise sur la vie que l’humain, où l’objet vous empêche d’avancer - là où chez Gondry ils permettaient d’offrir un nouveau souffle à l’avenir -, où l’on parle d’amour comme de l’achat du nouveau livre d’un auteur à la mode. Cette superficialité est alors paradoxalement amenée à disparaitre avec l’anéantissement de l’espoir, laissant alors au film l’idée vague que tout parait plus triste mais plus vrai dans la vie de tous les jours.
De plus, voir Michel Gondry jouer avec ses pinceaux n’aura jamais rien de désagréable. L’homme de la vielle école, s’amusant avec les outils d’une autre époque, mélangeant pixelation et stop-motion, ne s’arrête jamais dans cet élan créatif plus que bienvenu à une heure où les images de synthèse se vantent d’être la seule solution parmi tant d’autres. Cet aspect est renforcé par le jeu qu’opère le réalisateur sur les différents outils que lui propose naturellement le cinéma. Force est de constater qu’il est bien magicien, et donc en cela qu’il nous éblouit par le biais d’artifices pourtant communs à tous.

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Construit en deux actes, chacun joue à tirer partie de deux sentiments antagonistes naissant dans le cœur du spectateur, L’écume des jours s’avère être un récit plus complexe qu’il n’y parait. Si ces deux parties s’opposent dans un premier temps par un travail des couleurs intelligent, l’overdose sombrant dans la prose monochrome, la folie des couleurs à l’épuration de l’artificiel, la montée en crescendo entre ces dernières nous permet de voir un certain ordre des choses dans cet essor romantique.
Sous cette légèreté, Michel Gondry aborde tout de même de graves sujets, qui mis en scène, nous rappellent fortement qu’au-delà de la joie de vivre éphémère se cache parfois les jeux du hasard de la vie, de la nature. L’addiction - littéraire, presque même religieuse, mais dans cet univers équivalent à une drogue pure - de Chick, l’écrasement perpétuel du microcosme de Colin, sont tant d’exemples d’un monde qui ne fonctionne plus correctement.
Enfin, malgré ce que l’on aurait pu croire, le film, et surtout l’auteur qu’est Michel Gondry, ne disparait pas derrière son casting. Chaque acteur offre une image personnelle et juste de ce monde triste. Romain Duris incarnant Colin, personnage clé imposé par le destin autour duquel gravite chaque protagoniste, évolue constamment à travers le récit. Audrey Tautou ne se contente pas de ressasser le personnage d’Amélie Poulain, pour nous offrir un rôle certes éphémère mais d’une justesse poignante.


L’histoire surréelle et poétique d’un jeune homme idéaliste et inventif, Colin, qui rencontre Chloé, une jeune femme semblant être l’incarnation d’un blues de Duke Ellington. Leur mariage idyllique tourne à l’amertume quand Chloé tombe malade d’un nénuphar qui grandit dans son poumon. Pour payer ses soins, dans un Paris fantasmatique, Colin doit travailler dans des conditions de plus en plus absurdes, pendant qu’autour d’eux leur appartement se dégrade et que leur groupe d’amis, dont le talentueux Nicolas, et Chick, fanatique du philosophe Jean-Sol Partre, se délite.


Du film de Michel Gondry, il n’y aura surement pas qu’une lecture universelle, qu’une manière de voir un objet si atypique au sein du paysage français et même international si normé, et alors même qu’il donne une image à l’inadaptable, l’œuvre semble de nouveau nous filer entre les doigts, à travers un somptueux mélange de poésie et de spleen.
Titre Français : L’écume des jours
Réalisateur : Michel Gondry
Acteurs Principaux : Romain Duris, Audrey Tautou, Gad Elmaleh
Scénario : Luc Bossi & Michel Gondry d’après l’œuvre de Boris Vian
Photographie : Christophe Beaucarne
Compositeur : Etienne Charry
Genre : Drame
Durée : 2h 05min
Sortie en Salles : : 24 avril 2013

A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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