Alexis G.
4.5Note Finale
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Fiche Technique
Titre Français : La Vénus à la Fourrure
Réalisateur : Roman Polanski
Acteurs Principaux : Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric
Scénario : Roman Polanski d’après l’oeuvre de David Ives
Photographie : Pawel Edelman
Compositeur : Alexandre Desplat
Durée : 1h30
Sortie en Salles : 13 novembre 2013


Résumé

Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…

Critique

ParisCinemaFESTIVAL PARIS CINEMA

Edition 2013

FILM D’OUVERTURE

La pluie s’abat tel le grand déluge sur la ville de Paris, l’oeuvre de Desplat s’élance, et nous nous plongeons dans cette salle obscure désoeuvrée et pittoresque où la passion joue avec ses acteurs. Après Carnage, La Vénus à la Fourrure est la seconde pièce qu’adapte Roman Polanski pour le cinéma. Présentée à Cannes cette année, la nouvelle oeuvre du cinéaste franco-polonais ne tourne elle qu’autour de deux personnages. Sorte de retour au sources de la théâtralité cinématographique, là où il avait développé dans son premier film un problème de psychologie humaine dans un huis-clos licencieux, ce dernier se débarrasse de toutes limites pour offrir cette fois-ci à son public un huis-clos passionné et romantique. La pièce éponyme mise en scène par Walter Bobbie s’inspire elle même du roman de Leopold von Sacher-Masoch sans traiter directement de son contenu, permettant ainsi de créer un jeu habile autour de la confusion des espaces et des réalités. À travers cette chasse constante à travers les âmes de ses personnages, Roman Polanski parvient, en remplaçant Nina Arianda par sa tendre Emmanuelle Seigner, à dépasser une nouvelle fois le simple exercice de style en créant une splendide et entraînante fascination autour du personnage de Vanda. Véritable lettre d’amour à sa bien-aimée, Emmanuelle Seigner devient très rapidement la Vénus de Botticelli sortant des eaux, prêtes à satisfaire la passion de son, ou de ses, metteurs en scène. À travers son huis clos, Roman Polanski dresse alors une impressionnante réflexion sur la spatialité de cette salle de théâtre lugubre et sur le microcosme qui s’y développe.

VENUS A LA FOURRURE 1

La peur de la redite était la seule crainte naissante autour de ce nouveau projet signé du maitre. Après Carnage, huis-clos habile et fortement théâtral, voir Polanski s’attaquer de nouveau à un huis-clos, et qui plus est, tout aussi théâtral, n’avait rien de réjouissant. Mais pourtant, une certaine curiosité naissait autour de cette histoire d’amour passionnelle et érotique; la présence de seulement deux acteurs à travers une unique pièce et non plus deux couples à travers un appartement démontrait finalement que le réalisateur était tout simplement une nouvelle fois prêt à aller plus loin dans sa réflexion sur le cinéma et ses origines. Ainsi, Roman Polanski parvient à créer une ambiance atypique et fascinante autour de ses deux seuls protagonistes. Sortes de peintures en mouvement, les personnages se confondent tout comme la réalité se fond dans l’imaginaire de Sacher-Masoch. Alors que Vanda s’approche de son rôle par sa simple détermination et son nom prédestiné, Thomas est lui lecteur forcé, presque impropre à la lecture de sa propre pièce. Mais tel un enfant découvrant le premier amour là où il ne l’attendait pas, Thomas transforme le dégout en une passion presque inconsciente. Renversant son rôle, le metteur en scène devient rapidement marionnette de sa propre actrice. Adroitement quand il est question pour Séverin, protagoniste principal du-dit roman, de changer de nom, de devenir le fantasme qu’il a toujours rêver, ce n’est pas à Grégoire qu’il laisse la place, mais à Thomas, le metteur en scène en lui-même. Une mise en abime se forme alors autour de la réalité. Nébuleuse elle se fond et glisse peu à peu dans la fantaisie de la pièce jouée sur scène. Ainsi, si le personnage incarné par Mathieu Amalric apparait évidemment comme un double masqué de Roman Polanski lui même, c’est autour d’Emmanuelle Seigner que se forme le vrai mystère. Vanda ou Vénus ? Telle celle qu’elle joue, elle parait énigmatique, indéfinie. Sa présence même semble être à remettre en question. Alors que la porte s’ouvre sur le théâtre, elle disparait, pour réapparaître soudainement telle la Vénus s’offrant à Séverin dans son rêve ouvrant la pièce. A la manière de la Vénus qu’elle décrit, prête à toquer à la porte de sa prochaine victime, elle joue avec le personnage incarné par Mathieu Amalric.

VENUS A LA FOURRURE 2

Ce denier ne parvient jamais à la toucher, tout du moins sous sa forme de metteur en scène, tant qu’il ne semble pas convaincu de son existence, dans un doute presque perpétuel, ce n’est que par la fourrure qu’il parvient à la toucher, à s’assurer de son existence. Et pourtant, l’écriture des personnages parait dans un premier temps étrange et grossière. Emmanuelle Seigner nous fait d’abord douter l’espace d’un instant quant à la crédibilité de son personnage. Violente dans son langage, pulpeuse dans son accoutrement, et surtout à l’extrême opposé de la finesse dont est dotée Vanda dans la pièce, elle parait plutôt comme un fier condensé de cliché préadolescent dont on aimerait taire l’existence. Et pourtant, tout comme elle étonnera Amalric, elle étonnera son public. Passant du coq à l’âne, un nouveau visage parmi mille se développe autour de son personnage au fur et à mesure que le récit avance à crescendo. Emmanuelle Seigner a l’expérience même de la théâtralité, elle a pu notamment l’échauffer à travers une pièce mise en scène par Roman Polanski lui-même en 2003, mais surtout à travers la pièce de Luc Bondy : Le Retour. Dans cette pièce atypique aux idées étranges, elle y joue un personnage similaire, d’abord dominé par la force de la famille dans laquelle elle s’immisce, pour ensuite devenir dans l’ombre, celle qui en tire les ficelles. Ses différents discours, tous ambigus, aucun avéré, alimentent cette vision d’un personnage flou, difficile à cerner, et surtout à croire. Utilisant à bon escient ces outils théâtraux, elle se cache et joue avec une finesse surprenante à travers un personnage pourtant si imprévisible. Celle qui n’était qu’une image physique de la Vénus de Milo ou de Vélasquez devient celle de Polanski, laissant tous les doutes du spectateur à la porte de ce théâtre dans lequel nous nous glissons avec curiosité. Elle devient alors un objet de fantasme à la fois physique et spirituel, à travers ce personnage chimérique. Mais tout du long de cette monté en crescendo presque illimité, presque littéraire, Roman Polanski n’oublie jamais de mettre en place un rythme suave et sensuel, de travailler sur sa mise en scène, et même de créer avec l’aide de son chef-opérateur Pawel Edelman une ambiance unique et atypique dans une salle pourtant si froide et terne.

VENUS A LA FOURRURE 3

Ainsi après cette montée sans faille, le film se finit dans une apothéose inattendue, sorte de fantasme inanimé d’un théâtre antique. Emmanuelle Seigner semble alors au cours de celle-ci passer de la figure de la Vénus à celle d’une bacchante amazone, laissant son rôle féminin à la pièce. Pièce dont le seul fragment restant sera Amalric, voué à un délire fusionnel avec sa propre pièce, et se cachant sous l’utilisation intelligente de règles théâtrales basiques. À travers cette découpe de l’évolution du personnage, Roman Polanski crée en parallèle une logique du cadre impressionnante. Alors que la pièce est unique, une multitude de pièces semblent prendre forme, laissant place à la scène, une chambre ou même une scène d’extérieur. Le réalisateur compose alors son espace et son rythme à l’aide de changements d’éclairage soudains, mais invisibles, ou par l’utilisation de l’entracte, sorte de valse de joie naissante entre les deux personnages. La musique d’Alexandre Desplat vient se glisser tel le cœur du récit. Arrivant doucement, ce n’est qu’à mi-parcourt de son morceau que l’on se rend compte de sa présence pourtant vitale dans ce lieu insonorisé où seul l’écho de l’âme se fait entendre. Illusion fantasmagorique où la chevauchée des Walkyries devient simple outil rythmique, où le seul gros plan est celui d’une fermeture éclair glissant doucement sur la peau nue du corps rêvé, elle devient un rêve érotique vécu. Mais La Vénus à la Fourrure se veut aussi comique. De la dualité de ses personnages naît une idée acerbe du personnage féminin et de la création narrative. Ainsi, le metteur en scène déchainé ne se retient plus lorsqu’il est question d’une réflexion critique de son œuvre, ou même de l’art en général. Aveux critiques, il devient lui-même comique tant l’on sait déceler chez l’œuvre de Polanski un malin plaisir à rendre comique les choses âpres de la vie. Pourtant, Vanda lui fera cette réflexion, simple et précise, sur sa voix la plus suave : « Vous avez vendu votre âme pour une allitération? ». Celui qui critique devient le critiqué, alors que la moindre réflexion métaphysique l’exaspère, lui est capable d’utiliser un simple terme sans se douter de la force de ce dernier. Agissant presque comme un enfant, lorsque son téléphone sonne, il hésite d’abord à décrocher, touché par la peur de voir cet être rêvé disparaitre, de voir ce nouveau jouet qui est le sien disparaitre telle une illusion.


Roman Polanski se dévoile comme ce grand enfant, et nous explique ainsi, sous toutes les coutures, son amour presque démesuré et à jamais reconductible de cette femme qu’est Emmanuelle Seigner. À s’y méprendre, on en tomberait presque nous même amoureux.


A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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