Spring Breakers - Affiche 2Mis en avant comme nouveau film de la génération Y, à l’instar de Projet X l’année passée, le long métrage d’Harmony Korine, Spring Breakers, s’avère au final aller bien plus loin que cette idée réduite et désuète. Clarifions ce point, afin de mieux démontrer par son inverse à quel point le film s’adresse au final à un public plus mature que celui visé. Pourtant, à travers la communication, c’est plus la génération YOLO - Y(ou)O(nly)L(ive)O(nce) – qui semble visée, phénomène répandu surtout aux États-Unis. Le concept ? Profiter de chaque jour comme si c’était le dernier. Fumette, alcool, sexe, drogue, et comme on aurait pu le dire à une autre époque bien plus classe, Rock’n'roll. Pour certains, le terme vous rappellera peut être le concept d’une de ces émissions passant en pleine nuit, sur laquelle on tombe par infortune en zappant entre deux programmes. L’idée est donc d’émerveiller notre petite génération en lui offrant un contenu, qui, il paraîtrait, lui soit adapté, boobs, drogue et sexe donc.
L’idée ne vous convainc pas? Et bien rassurez vous, Spring Breakers se trouve à fortiori à son opposé le plus total. Certes le postulat de départ nous renvoie clairement à la débauche du plaisir, mais, plus Harmony Korine nous plonge au cœur son univers, plus ses idées semblent progresser dans un concept dépassant toute logique vraisemblable. Spring Breakers brise alors les propres limites qu’il s’impose pourtant lui même en abordant un sujet aussi opportuniste et attendu.
Il est par contre étonnant - dans notre France bien puritaine - de voir le film affublé d’un « déconseillé aux moins de 12 ans », le film s’adressant clairement à un public plus mature et surtout apte à encaisser un tel choc visuel et sensationnel. Ce n’est pas pour rien qu’Harmony Korine décrit son film de véritable descente sous acides. Scandales et promotion se mélangent alors avec facilité au fur et à mesure que le film s’approche de nos salles.

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Petit aparté : qu’est-ce que le Spring Break ? En France, on ne connaît pas vraiment l’ampleur d’un tel phénomène, ici, on boit, on picole toute l’année, mais jamais l’on a d’événement officiel résonnant avec bikini, sable fin, et folie compulsive sexuelle. Voilà ce qu’est le Spring Break, littéralement, la pause du printemps, un instant libertin entre deux moments de dépression massive journalière. Les sulfureuses Candy (Hudgens), Brit (Benson) et Cotty (Korine), ainsi que leur chaste amie Faith (Gomez) – rêveuse, assistant à des messes punk dérangeantes -, sont nos Spring Breakeuses, et Alien (James Franco), est leur ancre dans ce milieu bien sombre au réveil.
Là où Projet X avait rapidement sombré dans un sujet abscons, profitant d’un opportunisme creux et stérile, jouant une carte symbolisée par de nombreux billets verts, Harmony Korine propose lui la fresque d’un monde rêvé et imagé par cette génération dont les héros atypiques sont Scarface et My Little Pony. Cette inspiration, on la trouve mélangée au sein d’une frustration maladive, inconsciente, ne prenant jamais naissance, restant constamment figée dans cet instant morose et banal, qu’est la vie. Cette image de cette génération, pas totalement vraie dans un premier temps mais surtout typiquement américaine, globalement sexuelle, médisante sur ses actions, parlant de spiritualité et d’amusement, n’a rien de ce que l’on appelle aujourd’hui la génération Y. Celle qui s’est reconnue à travers justement Projet X, sera sûrement déconcertée par le résultat final, Harmony Korine dressant somme toute non pas l’idéal d’une minorité mais bien le portrait d’un fragment de l’inconscience humaine. Cette folie créatrice, celle ne ce souciant plus de rien, d’aucune morale, tout cela afin de mieux reconstruire ses idées, à première vue répulsives, s’avère pourtant peu à peu logique dans le fil des choses que peint sur sa toile Harmony Korine. Véritable peintre, sorte de Pollock du cinéma, anarchique et pourtant totalement cohérent, il nous abreuve d’un récit haut en couleurs, et ce, dans tous les sens du terme. Cette mise en image prend vite la forme d’un mariage, sorte de relation extrême entre deux sentiments antagonistes, amour et violence, se frottant ainsi à la passion pure comme la décrivent certains. Il ne se contente pas de profiter du monde qui lui est offert, de se contenter d’une idée, il met en scène tout un autre monde intrinsèque au notre, qui au final s’apparente plus à celui dont Alien dit venir.
Les filles venimeuses, sortes de succubes modernes, voulant enrôler leur dernière amie, voient leur relation plus qu’explicite, charnelle, se dissiper peu à peu, pour devenir vitalité pure, jusqu’à ne faire plus qu’une durant un dernier excès de violence. A chaque instant du film, ces deux émotions s’équilibrent mutuellement, laissant place alternativement l’une à l’autre. Alors, ces filles qui ne pouvaient se séparer se fragmentent peu à peu, devenant presque étrangères entre elles.

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Dès que l’une d’elle quitte le groupe, elle disparaît à jamais, hors de ce monde rose et fou que leur propose Alien. Et malgré cette idée que propose Harmony Korine, que la banalité est un lieu dont l’on veut s’échapper, mais qui au final s’avère sans doute être notre seul havre de paix, il ne peut s’empêcher d’en faire un société monochromatique et triste, tout en contraste avec les jeux de lumières incessants dans ce monde où seule la nuit fait office de journée.
Spring Breakers est par conséquence plus que visuel dans ses propositions, s’attardant moins sur une quelconque continuité narrative, n’allant par quatre chemins pour montrer son cheval de guerre. Cette profusion de scènes de chairs continuelles en deviennent pourtant vomitives, excès dont finalement le monde banal cherche à éviter, après les vanités de la participation et de l’envie que l’on aime à porter pour se faire paraître normal. Pourra-t-on dire que le film propose parfois une imagerie trop gratuite ? Peut être, mais Korine n’est jamais réellement provocateur, car il nous dégoûte aussi de l’imagerie qu’il façonne, ne pouvant jamais être le reflet parfait du rêve, ayant ses hauts et ses bas fatals, symbole finalement parfait de la faiblesse humaine. Pour appuyer cette fureur, Harmony Korine utilise le même montage parallèle, poussant à l’extrême la cohérence temporelle, qu’il avait esquissé sur le court-métrage Lotus Community Workshop. Sorte de montage en roue libre, gardant une certain cohérence globale temporelle, mais nous dirigeant rapidement sur de fausses idées, des clichés, le résultat final s’apparente vite à un rêve. A chaque instant l’on essaye d’imaginer toutes les possibilités d’une histoire pour mieux en comprendre le sens. Cette roue libre, construite dans une première partie par des idées de mise en scène extravagantes, morphing ou encore found footage, nous prend totalement dans l’histoire que tente de nous faire vivre, et non pas voir, Harmony Korine. Benoit Debie, l’homme qui avait rendu Enter the Void si atypique ou qui très récemment avait fait l’image du délirant Kill the Gringo, signe ce qu’il reste de cette peinture collective.
Sorte d’odyssée folle, dont le terrain, si bien mis en parallèle à la mer, et intrinsèquement, le monde, par Alien, est un endroit dangereux pour de telles filles, pleins de requins prêt à profiter d’elles. Il n’empêche que ces dites-filles, sont loin des enfants de chœur voués à un vice prochain que l’on aurait pu voir évoluer au cours du film. Ces dernières sont déjà ce qu’elles auraient pu devenir à la fin du film, prenant toute sa narration à l’inverse du sens conventionnel. Le coup de feu symbolique, contre-poing sonore, joue avec le montage sur un autre extrême artistique. Durant tout le film, ce son extra-diégétique n’a cesse de nous attirer, de nous déranger, de nous intriguer, et pourtant, quand il est question pour lui, d’intervenir, il se tait, comme un enfant égoïste.

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Alors qu’il nous a amené jusque là à nous préoccuper constamment d’une menace évidente, son absence soudaine, brutale, remplacée par les derniers mots testamentaires des filles restantes, nous injecte directement dans leurs esprits. Encore une fois, pourquoi s’encombrer du moment présent ? L’instant parfait est passé, et l’on ne peut pas mettre en pause un instant éphémère, il faut donc avancer. Vivre ou mourir. Cette idée du temps permet de manier la tension avec une aisance fascinante, magnifiant cette fugue sauvage, ces aller-retours, incessants, en dehors du contexte et pourtant d’une logique implacable, cet équilibre parfaitement imagé, se rompt aussi parfois, déviant sur des folies de grandeur que l’on créditera derrière l’envie de plaire à un public à l’horizon d’attente inadapté et dérisoire par rapport aux vues et idées du film. Dans un sens, Harmony Korine en appelle à nos faiblesses, et surtout à notre curiosité, pour ensuite se justifier. On en revient à cette idée de faiblesse de nouveau, celle que l’on cache par une violence que l’on ne connaît pas, que l’on ne maîtrise pas, mais qui nous happe une fois que l’on joue avec elle. Spring Breakers n’est pas seulement un film dédié à l’adolescence comme on aurait pu le croire, il est avant tout dédié à cette idée inconsciente de l’échappatoire, de l’envie de tout quitter pour vivre ce que certains appellent la vraie vie. Qui ne voudrait pas vivre la vie de Tony Montana, avoir tout sous la main, contrôler le monde. Bizarrement, on finit par croire en cette spiritualité dont on rie naïvement la première fois qu’il en est question, sorte d’excuse à la débauche environnante, qu’il suffit de jeter sans réflexions pour rassurer sa conscience.
James Franco tient ici un rôle halluciné, digne du personnage mis en image. On aura rarement vu un acteur prendre autant de risques et virer de sa persona habituel avec autant de force. Alien est bien plus qu’un homme persuadé de venir d’un autre monde, il est un créateur façonnant celui dans lequel il vit. A la fois improbable et fou, au-delà d’accessoires et d’une mise en image du personnage totalement aux antipodes de l’acteur en lui même, James Franco tient durant tout le film une ligne de conduite envers ces filles qu’il se met à vénérer, nous empêchant de ne jamais réellement comprendre ses intentions, comme embrumées par un trop plein à évacuer. Vanessa Hudgens, Selena Gomez, Ashley Beson et Rachel Korine n’ont rien à envier face à cet être hors-normes. L’on aurait pu tout de même croire ici que le ratage serait fatal, surtout pour un film reposant autant sur ses acteurs. Après tout, on a là des miss, surtout les deux premières, peu réputées pour leur maturité. Et pourtant, le sérieux des filles est impressionnant, surtout quand l’on sait que la majorité du jeu repose sur l’improvisation. Si les formes sont aussi évidemment un atout indéniable - ne nous voilons pas la face -, leur concentration sur certaines scènes plus qu’équivoques, dont Harmony Korine ne perd aucune bribe, nous oblige à réévaluer le jeu d’une actrice comme Vanessa Hudgens, que l’on aura peut-être eu trop rapidement envie de catégoriser dans l’univers de Mickey.


Pour financer leur Spring Break, quatre filles aussi fauchées que sexy décident de braquer un fast-food. Et ce n’est que le début… Lors d’une fête dans une chambre de motel, la soirée dérape et les filles sont embarquées par la police. En bikini et avec une gueule de bois d’enfer, elles se retrouvent devant le juge, mais contre toute attente leur caution est payée par Alien, un malfrat local qui les prend sous son aile…


Un postulat opportuniste et une communication dédiée à la mauvaise génération avait fait de Spring Breakers le candidat idéal de la palme du film absurde et bien commercial. Mais ce n’était sans compter la présence d’Harmony Korine, qui, dévie de tous les plans logiquement prévisibles, pour nous offrir, à sa sauce, et nous rappelant à certains instants le cinéma de Terrence Malick, une belle expérience visuelle.
Titre Français : Spring Breakers
Titre Original : Spring Breakers
Réalisation : Harmony Korine
Acteurs Principaux : James Franco, Vanessa Hudgens, Selena Gomez
Durée du film : 1h 32min
Scénario : Harmony Korine
Musique : Cliff Martinez
Photographie : Benoît Debie
Date de Sortie Française : 6 mars 2013

A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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