[one_third last="no"]Deauville[/one_third][two_third last="yes"]

FESTIVAL DU CINEMA AMERICAIN DE DEAUVILLE

Edition 2013

COMPETITION

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Chaque année, Deauville a le droit à un ou deux ovnis qui ne semblent pas avoir leur place dans la compétition officielle. Non pas que les films soient mauvais, mais plutôt proposés à un public concrètement inadapté. Blue Ruin en est le parfait exemple, et sa sélection à l’Etrange Festival 2013 confirme la crainte évoquée. Car ce film, déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateur de Cannes, est bel bien un film de genre. Il est d’autant plus triste de faire ce constat que le film est parti pour être l’un des meilleurs films de la compétition.
Vigilante anti-manichéeen, porté par la performance incroyable de Macon Blair, le second film de Jeremy Saulnier abandonne toute once de comédie pour ne proposer qu’une épopée noire et déstabilisante. Evidemment, c’est donc du western que Jeremy Saulnier décide de tirer le plus de codes. Créant un microcosme de vengeance ne menant à aucun but apparent, soulevé par un désir violent et presque pervers, le réalisateur propose une odyssée surprenante où de simples personnages, parias par leur aspect ou leur passé, s’entrechoquent dans des accès de rage outre-mesure. Jouant sur un doute perpétuel du spectateur concernant la logique de ses personnages, à l’aide d’une vision minimaliste des dialogues, rares mais primordiaux, le réalisateur se rattrape rapidement en élevant à crescendo la vengeance, qui laisse alors place à une guérilla préventive, elle même source de nouveaux conflits.

Blue Ruin 1

Alors que le film démarre sur ce personnage étrange, dont on ne connait rien, aucun indice ne laisse transparaitre la direction sur laquelle bifurquera soudainement le film. D’apparence simple vagabond voguant de maison en maison pour se laver avant de rejoindre son épave roulante, dernier abri le protégeant, Dwight n’est jusque là qu’un échantillon humain. Cependant, c’est in medias res que Jeremy Saulnier décide de nous introduire l’histoire de Dwight. Jamais il n’est question de s’apitoyer sur son sort, pas d’empathie, pas d’accroche émotionnelle sur un personnage nous partageant pourtant une mélancolie pure par le biais d’un simple regard. Et lorsqu’enfin le film se décide à nous donner une clé sur la raison de cette situation, il l’introduit de sorte à nous berner. Là où naît chez le spectateur une empathie naturelle liée au deuil et un sentiment de protection, une vengeance prend en réalité forme. Inutile alors de laisser une place aux mots, le geste est simplement utile. Sans un mot, notre vagabond brise sa routine que nous venions à peine de voir prendre forme pour laisser place à une quête personnelle.
Ainsi, il faudra attendre une nouvelle fois que les mots reprennent leur place pour que le récit puisse évoluer sur une nouvelle ouverture, tiraillant le spectateur et le personnage d’un sentiment de doute permanent.
Néanmoins, Jeremy Saulnier construit aussi habilement un personnage en évolution constante. Dwight, vagabond par choix, ermite par nature dans un univers où la sauvagerie a eu raison de son innocence, se construit une personnalité en perpétuelle évolution. S’adaptant aux choix faits, bons comme mauvais, jamais ce dernier ne cherche à s’arrêter, même en situation sûre. Car malgré la volonté profondément égoïste qui anime dans un premier temps ses choix, les conséquences de ceux-ci ne sont pas sans dommages collatéraux. Tout s’écroule autour de lui, les amis et la famille qu’il a volontairement quitté le quittent avec autant de facilité. Soudainement, le personnage change aussi bien physiquement que psychologiquement, comme si la réincarnation avait été accomplie, que la vengeance avait laissée place à l’instinct naturel de survie, masqué derrière un ressentiment faussement familial. L’homme tue finalement avec autant de facilité si ce n’est plus que celui qu’il recherche. Cette paix utopique, qu’il espérait croiser lors de sa résurrection personnelle, ne pourra être atteinte qu’à la transmission du nouveau fardeau que lui même s’est conçu, fardeau de haines et d’incompréhension.

Blue Ruin 12

Une telle force à travers un personnage pourtant si simple n’aurait surement jamais pris forme avec un acteur autre que Macon Blair. Véritable révélation du film, ce dernier nous partage la même mélancolie contagieuse du regard qu’avait porté Javier Bardem dans Biutiful. Véritable canevas à multiples facettes, l’acteur évolue autant que le permet son personnage. Son regard, d’un simple coup d’oeil, annonce la chute ou la réussite de ses espoirs de vie paisible. Quel que soit son état, où l’avancement de son but, l’acteur parvient à retranscrire un jeu en finesse, débordant d’émotions sauvages et imprévisibles.
Car jamais il n’est possible de réellement prévoir comment va progresser l’histoire de Blue Ruin. Imprévisible de bout en bout, le personnage suit respectivement des instincts humains, puis primaires. Les rares instants plus légers sont crées par des personnages miroirs d’un drame qui a indirectement joué un rôle dans la vie de tout un chacun. Comédie il n’y a jamais, si ce n’est pour ressasser un passé comme perdu à jamais, à la fois proche et pourtant intouchable. Un tel passé n’est alors plus envisageable lorsque la machine de la haine, spirale perpétuelle, se met en marche. Pourtant, étrangement, face à tant de violence, le réalisateur cherche tout de même à accomplir jusqu’au bout l’odyssée de son personnage, quitte à faire de lui un monstre traumatisé par ce qu’il vient de mettre en marche. Ce monstre, l’on s’y accroche, seul regard humain dans cette vendetta.
Néanmoins par cette envie d’utiliser les codes de plusieurs genres après avoir quitté le western, le film se perd quelque peu, parfois obscur sur les intentions du personnage principal. Par facilité, l’on pourrait y voir un reflet de la personnalité de celui-ci, mais cette facilité accuse tout de même plusieurs baisses de rythme. Mais ce n’est pas sans un certain plaisir que nous voyons le personnage de Dwight Evans tour à tour chuter pour mieux se relever. Car loin du personnage caractéristique du cinéma américain, Dwight n’est qu’un grand enfant évoluant dans un univers meurtri par les armes.
Ainsi, d’aucun verraient à travers le film émerger l’idée que le film porte cette aspect moralisateur du lobby des armes à feux. Impossible dans un tel contexte de faire abstraction de ce problème social qui justifie à lui seul la totalité du film et les différentes crises qui s’y déroulent. Cependant, le film n’a pas été pensé ainsi, le réalisateur Jeremy Saulnier étant allé jusqu’à couper du montage certaines répliques tranchant dans le vif du sujet pour concentrer le spectateur sur le récit même du film.


Road movie fascinant d’un homme qui n’a plus rien à perdre, Blue Ruin est une oeuvre atypique où la violence devient argument de foi. Parfois perdu entre différents genres, le film se rattrape néanmoins très rapidement pour proposer une vision étonnante de la violence humaine.


    A propos de l'auteur

    Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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