Étrange Festival 2012 – Catégorie « Compétition Nouveau Genre »

Au sein même de l’Etrange Festival, déjà assez barré dans son ensemble, on trouve un certain lot d’ovnis, souvent classés soit dans la catégorie « Nouveau Genre », soit compris dans les différentes nuits du festival, telles que la nuit Zombie (où nous n’avons pas eu la chance d’aller) avec des Zombies Ass, O Zombie et autres folies. Mais à travers ces différents ovnis, on en trouve facilement de toutes sortes, certains poétiques, certains macabres, d’autres totalement décalés. Berberian Sound Studio lui, s’avère être un ovni, parmi les ovnis.
Ce film réalisé par l’anglais Peter Strickland, a qui l’on doit Katalin Varga, notamment remarqué pour sa bande son à Berlin, nous marque de la manière la plus étrange possible, à première vue, le film s’avère assez hermétique, dur à suivre, voir même absurde par son travail constant sur la mécanique du son plutôt que de l’action. Mais au fur et à mesure que le récit avance, il se positionne de manière de plus en plus violente et étrange sur sa référence majeure qu’est celle du giallo, genre italien survivant aujourd’hui avec difficulté.
Le film tourné devient le film vécu, l’image qui nous est interdite nous envahit par son compagnon sonore, et le monteur sonore devient l’ingénieur de son propre cauchemar. Tous nos repères disparaissent pour nous faire vivre l’horreur par son support le plus pur : celui du son.

© DR

Gilderoy est un ingénieur du son un peu dupe, sans grandes ambitions et même trop simplet pour assumer l’importance de son rôle au sein du film auquel il est invité à travailler. Incarné par Toby Jones, récemment vu dans La Taupe, cet ingénieur débarquant tout juste dans le Berberian Sound Studio en Italie découvre le monde du giallo avec curiosité et incertitude à travers ce film sur lequel il travaille: The Equestrian Vortex.
Si à son introduction ce film, dont l’on ne voit que le générique, pourrait s’apparenter à une quelconque réalisation délirante de série B, il devient rapidement évident que nous avons affaire à une œuvre de volonté bien moins naïve. Et c’est avec la même curiosité dont fait preuve le personnage, que nous abordons son propre travail. Intrigué par ce film étrange où il est question de viol, de mutilation, de fer rouge introduit dans certaines parties anatomiques et autres choses dont la seule vue nous dégoûterait à jamais de l’humanité, c’est justement avec étonnement qu’il n’est jamais question pour Peter Strickland de mettre en abîme  la vision de ce film, par un face à face brutal, afin de nous choquer pour simplement nous choquer. Nous n’abordons ce film dans le film qu’avec la mécanique de fabrication du son, dans ce lieu littéralement comme psychologiquement coupé du monde où nous ne trouvons jamais notre place, par ces prises de son s’accroissant dans leur brutalité.
Entre critique morale d’un genre cinématographique en perdition via le personnage de Giancarlo Santini ne pouvant s’empêcher de préciser avec sincérité  que ces images sont la réalité de notre monde, et étude fascinante d’un héritage italien qu’est celui du son, Strickland nous prend constamment à revers en nous empêchant de nous appuyer sur le moindre élément réconfortant. Chaque personnage est détestable, ou voué à disparaitre, le personnage de Gilderoy devenant lui même acteur du studio, nous abandonnant et nous laissant comme seul témoin du Berberian Sound Studio. Mais ce n’est pas pour autant que Strickland dresse un portrait final sans aucun doute possible sur les nouvelles convictions de son personnage. Ce personnage qui a son arrivée était éperdu d’une psychologie candide, encore attaché à sa mère, vivant dans un monde où les choses ne sont que positives aurait-il pu simplement devenir adulte?

© DR

Toby Jones profite de sa liberté totale afin de signer ici sa meilleure performance actuelle, incarnant avec autant d’ambiguïté que son sujet le personnage de Gilderoy. Son travail et celui de Peter Strickland permettent de mettre en valeur l’autre atout incroyable du film, sa photographie impressionnante. Le travail de Nick Knowland, s’apparente ici à une véritable œuvre d’art. Nous renvoyant constamment à un clair-obscure digne du Caravaggio dans ses heures les plus noires vers la fin de sa vie, le travail effectué sur Berberian Sound Studio s’apparente assez vite alors à une fresque psychédélique où sa beauté nous tiendrait en haleine de bout en bout. Allant même jusqu’à devenir peinture sur certains plans fixes. Car si il y a bien une chose que tout le monde se doit d’accepter malgré toutes les méfiances possibles scénaristiques, c’est que sur le plan, évidement sonore, et visuel Berberian Sound Studio est parfait. Sa mise en scène d’une atmosphère, empruntant à Dario Argento, au jeune Polanski de Repulsion ou encore au Voyeur de Powell par cet emprunt d’un lieu et d’une ambiance similaire au labo de Mark, excelle sur tous les plans.
Où alors Berberian Sound Studio expose ses faiblesses ? Surement dans son scénario à répétition dans le premier tiers du film, où alors sa complexité, entremêlant fantaisies et réalités, osant le parie de nous perdre en transformant soudainement son personnage principal et en rendant la lecture de son récit encore plus absurde et dur à déchiffrer. Le film de Peter Strickland dérange fondamentalement et le voir plusieurs fois aidera surement à faciliter sa compréhension.


Dans des studios italiens spécialisés dans les films d’horreur, le travail d’un ingénieur du son prend un tournure de plus en plus inquiétante…


On pourra affirmer sans l’ombre d’un doute que Peter Strickland est l’un des réalisateurs britanniques contemporains à suivre de prêt de cette vague du « Nouveau Genre ». Mais avec la même franchise, on pourra aussi affirmer que son cinéma n’est pas destiné à un grand public, qu’il faut savoir être patient, et surtout accepter la sensation plutôt que la vision.
Titre Français : Berberian Sound Studio
Titre Original : Berberian Sound Studio
Réalisation : Peter Strickland
Acteurs Principaux : Toby Jones, Tonia Sotiropoulou et Susanna Cappellaro
Durée du film : 01h32min
Scénario : Peter Strickland
Photographie : Jennifer Kernke
Date de Sortie Française : n/c

A propos de l'auteur

Rédacteur stellaire, parle cinéma, jeux-vidéo et de bien d'autres choses inutiles. Dirige entre autres les larbins qui enrichissent ce blog fondé quelque part aux environs de l'an de grâce 2011. Raconte des bêtises sur @noxkuro

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