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Pour cette troisième édition, c’est Alex de la Iglesia qui s’offre l’ouverture avec son dernier film : Les Sorcières de Zugarramurdi – que malheureusement nous ne pourrons pas voir, les hostilités commençant pour nous Jeudi midi – en sa présence. En clôture, Wolf Creek 2 de Greg McLean viendra finir en beauté (ou re-dite de la catastrophe Silent Hill 2 ?), avec son côté indé et saignant, la programmation.
Cette année, le festival s’offre un casting assez bluffant en comparaison aux autres années. Si Peter Jackson, Dario Argento ou Tsui Hark nous avaient donné rendez-vous lors de la précédente édition, les nouveaux invités n’ont rien à leur envier. Côté classiques : Re-Animator, Seconds (L’Opération Diabolique), Perfect Blue et The Wicker Man sont là pour nous titiller là où il faut bien. Côté compétition, beaucoup ont déjà fait leurs preuves à travers d’autres festivals, notamment The Battery de Jeremy Gardner. Pour les non-anglophones, c’est aussi l’occasion de découvrir Byzantium de Neil Jordan. Après le TIFFF, le film s’offre une occasion de convaincre son public et d’espérer décrocher une date de sortie française. Bien évidemment, le PIFFF ne serait pas ce fantastique festival sans son petit film bien bis. Le grand représentant du genre se nomme ici HK – Forbidden Super Hero, ou l’histoire du super-héros aux goûts plus que douteux. La nuit nous donnera elle l’occasion de s’attarder sur le nouveau remake (dispensable ?) de Carrie. Suivrons : Christine de John Carpenter, Creepshow de George Romero et enfin Simetierre de Mary Lambert.
19 Novembre 20h30
Après le casse d’une bijouterie madrilène, trois braqueurs en fuite se réfugient à Zugarramurdi, petit village basque dont la réputation maléfique tient à la présence massive de sorcières
20 Novembre 14h00
Ermite fasciné par la mort depuis son enfance, Ian accompagne les êtres brisés jusqu’à leur suicide. Et au-delà…
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Pour sa première expédition à bord d’une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l’astronaute chevronné Matt Kowalsky qui effectue son dernier vol avant de prendre sa retraite. Mais alors qu’il s’agit apparemment d’une banale sortie dans l’espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l’univers. Le silence assourdissant autour d’eux leur indique qu’ils ont perdu tout contact avec la Terre – et la moindre chance d’être sauvés. Peu à peu, ils cèdent à la panique, d’autant plus qu’à chaque respiration, ils consomment un peu plus les quelques réserves d’oxygène qu’il leur reste. Mais c’est peut-être en s’enfonçant plus loin encore dans l’immensité terrifiante de l’espace qu’ils trouveront le moyen de rentrer sur Terre…
Après Les Fils de l’homme, film aussi bien abouti techniquement qu’exemplaire dans son traitement humble du dernier espoir humain, Alfonso Cuarón prouvait qu’il était bien plus qu’un quelconque « yes-man » ayant participé à la conception du personnage d’Harry Potter sur grand écran. Il aura fallu sept longues années pour que le nouveau film du réalisateur mexicain fasse son chemin vers le grand écran. Repoussé à de maintes reprises, remanié, re-casté jusqu’à finalement aboutir à ce qui sera le premier et le dernier film d’Alfonso Cuarón sur le terrain du vide galactique. Incroyable oeuvre technique, le film se heurte une nouvelle fois aux mêmes détracteurs que Cloud Atlas, ne voyant en Gravity qu’un unique plan-séquence et ainsi une prouesse technique effaçant toute émotion ou enjeu dramatique — élément par ailleurs faux, le film ne comportant à proprement parler aucun plan-séquence, uniquement de longs plans, devenant la norme même du récit. Néanmoins, il paraît rapidement évident au vu des désirs du film à développer non pas seulement l’histoire d’un homme, mais celle de l’humanité que Gravity est l’un des films majeurs de notre année. C’est une œuvre somme, nous touchant au plus profond de nous-même, dépassant ainsi l’univers de Ryan Stone (Sandra Bullock) et Matt Kowalski (George Clooney) pour faire du spectateur un véritable témoin les accompagnant. Alors que l’équipe s’attarde sur la réparation d’une partie de leur matériel au cours d’une sortie dans l’espace, Houston leur annonce qu’un satellite a été détruit. Dès lors, ce qui est pour nous le symbole de la vie sur terre, la gravité, condamne l’équipe à subir le raid sauvage de ces débris en orbite, forces accrues par les implacables lois physiques au fur et à mesure qu’ils se font de plus en plus nombreux. Ce sentiment d’impuissance, laissé à nos personnages, se caractérise ainsi par la réduction de l’immensité spatiale à une simple force, et ce, dès l’ouverture du film.
Cette force, nous la connaissons tous, c’est celle qui fait de nous ce que nous sommes, en faisant alors d’un principe immuable et logique le vecteur même de l’action, le spectateur n’a pas d’autre choix que d’être plongé corps et âme dans cette épopée. Entre terreur et anxiété, nous sommes amené à littéralement étouffer face au torrent d’émotions qui s’abat sur nous. Jouant avec notre espoir, nos instincts primaires humains et universels, Alfonso Cuarón nous fait sentir toutes les émotions dont le docteur Ryan Stone et Matt Kowalski doivent s’émanciper pour survivre. Cette carence naturelle nous touche d’autant plus que la peur dont sont victimes nos deux protagonistes principaux est naturelle, primaire : la peur du vide et de tout ce qu’il implique. Pour cela, Alfonso Cuarón nous soustrait tour à tour chacun de nos sens, chacun de nos repères, d’abord le son, puis la vue, et enfin le temps. Mais là où Gravity propose une logique originale de chacune de ces étapes, c’est dans sa manière de les soustraire par le contraire. Le son n’est pas inexistant, au contraire, il est violent, omniprésent, la question du temps est un facteur crucial, et pourtant l’on se prend à l’oublier. Car dans la poésie de chaque instant l’on s’étonne de ne plus penser à ce sentiment de survie qui nous animait quelques minutes auparavant, mais à admirer les étoiles, l’immensité de ce que peut représenter la vie.
Alors que le générique nous décrit un court état des lieux, que les textes s’enchaînent timidement, qu’ils nous rappellent que dans l’espace, le silence est roi, vient soudainement détonner une incroyable nappe sonore, d’abord déconcertante puis rapidement oppressante. Ce désordre sonore, symbole de mort et de peur sera notre seul repère. Par le biais de cet univers sonore envahissant, Cuarón offre au silence un leitmotiv inexorablement brisé et mis à mal par le son. Ainsi, les blancs sonores, qui par un souci de réalisme auraient pu empêcher toute existence de bande-son, deviennent épars, mais surtout artifices nécessaires afin de souligner les instants cruciaux. Le silence devient instant de paix pour le spectateur, microcosme où la vie peut se reconstruire étape par étape. Ce travail du son continuel, selon les règles de la perception humaine, presque palpable par la force de ses vibrations, legs à de courts battements de cœur ou des souffles le lourd fardeau d’être témoins et preuves de la vie. Transmis pas la radio, ces sons sont néanmoins rapidement aseptisés de tout timbre humain caractéristique, nous éloignant juste assez des personnages pour nous positionner en temps que spectateur intrinsèque au récit. Ce sont ces mêmes sons qu’attendent désespérément Kowalski ou Stone, nous spectateurs, partageons alors cette même angoisse au sein de ce vide illusion d’une cécité indomptable. Cuarón a fini par nous convaincre alors : la caméra, dans ses mouvements fluides, devient la combinaison du troisième personnage que nous enfilons avec autant de plaisir que d’effroi.
Ce travail sur le néant, Alfonso Cuarón en fera son cheval de bataille tout au long du film, aussi bien formellement qu’idéologiquement. Tout en parvenant à souligner l’immensité presque démoralisatrice de cet espace vide, Cuarón l’isole pour lui donner un aspect presque matériel, signifiant soudainement une nouvelle échelle de l’espace et du temps. Ce néant est aussi la première étape de la réincarnation prônée par le réalisateur tout au long de son récit avant de se finir dans un dernier plan aussi beau que fort en symboles – le format lui même s’opposant à la totalité du film : le 70 mm contre le numérique. Du néant naît quelque chose, le plus petit des objets y prend une importance astronomique. Car ici c’est littéralement le microscopique qui est mis en confrontation directe avec le gigantisme même de l’univers, habilement souligné par une représentation abstraite des distances et de leur tendance à se métamorphoser selon le contexte où elles sont normées. Ainsi, à première vue, lorsque le film s’ouvre sur la Terre et qu’un cosmonaute entre dans le champ, notre seul point de repère sera ce petit point blanc, accompagné par la voix d’Ed Harris.
La musique de Steven Price pourrait paraître de prime abord comme un bruit sonore environnant et surtout trop envahissant par rapport à l’aspect léché et sans fêlures de l’image, et pourtant, l’on pourra saluer un choix exigent de cette nappe sonore. En faisant de cette musique omniprésente une musique presque organique, une véritable tension se met en place. Entre poésie et cauchemar, de vraies subtilités parviennent à notre oreille. Opéra sans limites, aux mouvements bien distincts, et aux scènes clairement découpées, chaque instant où elle se met en place, une nouvelle étape du voyage vers la survie du Dr. Ryan est esquissée. Mais s’il est évident que la bande-son s’avère être un outil indispensable dans cet espace insonorisé, elle permet aussi paradoxalement de nous faire apprécier le silence. Lorsque la radio se coupe, précédé d’abord par l’osmose sonore de l’intégralité des radios, que tous les sons du monde se retrouvent concentrés l’espace d’un instant en un point unique, auquel ont accès Clooney, Bullock et par incidence le spectateur, ce n’est pas à la formation de la tour de Babel que nous avons le droit, mais bien à un bruit pur, violent, dont l’on veut se détacher au plus vite. Pourtant jamais il n’est question dans Gravity de dresser une véritable séparation entre l’espace diégétique et extra-diégétique sonore. Ainsi, lorsque que la musique s’élance, que Bullock tournoie dans le vide, cet outil propre d’un espace externe au film tournoie avec elle, le son se déplaçant aussi anarchiquement que lui permet ce calvaire interminable.
L’on remarque ainsi cette idée que se fait Cuarón, qu’une musique, même extra-diégétique, est l’une des strates indispensables à la conception de notre perception. Cet aspect, achevant de nous immerger dans le récit, nous rappelle aussi que nos sens n’ont plus le loisir de leurs fonctions. Nous tournoyions aussi désespérément que Ryan Stone, perdus et désemparés face à un mouvement auquel nous n’avons aucune emprise. Nous devons réapprendre avec les différents protagonistes du récit à maîtriser notre corps. La résurrection humaine est alors transposée de la fiction à la technique, celle-ci se développant ainsi à chaque instant en filigrane de la réalisation, impliquant d’une manière sensorielle le spectateur. Néanmoins, il est triste de constater que cette musique, même si elle s’avère d’une efficacité fulgurante dans le récit, ne pourra pas survivre d’elle-même. Elle ne s’apparente pas à une partition comme le sont souvent les opéras galactiques, autonomes et intemporels tels qu’a pu les composer Jerry Goldsmith, et ce, même si celle-ci dégage au cours de nombreuses scènes des fulgurances appelant une nostalgie cinématographique fascinante.
Cette nostalgie du cinéma, se sent évidemment aussi dans l’intégralité de Gravity. Il n’est pas possible de parler de Gravity sans mentionner 2001 : L’Odyssée de l’Espace, et pourtant, ce n’est pas parce qu’il est ici nécessaire de le faire, que ce commentaire doit être un constat triste découlant d’une sensation de redondance comme l’imposait le très récent Oblivion. Gravity s’élance simplement sur des réflexions similaires à l’oeuvre de Kubrick, et ce d’une manière bien différente. Aucun jugement de valeur ici, les deux œuvres restants clairement à deux antipodes. Là où 2001 s’apparente à une réflexion abstraite d’une force démesurée, Gravity se permet une certaine transparence dans ses enjeux, non sans proposer des sous-textes que jamais le réalisateur ne cherche à trop appuyer. Jouant tous deux sur des artifices bien différents, l’on pourra néanmoins espérer de la part de Gravity un même héritage, c’est après tout dans le conflit que marquent les œuvres majeures.
Car formellement Gravity instaure un nouveau palier dans l’exploration imaginaire de l’espace au cinéma. Si l’idée du huis-clos est omniprésent par principe dans tout space-opéra, Gravity décide de positionner son point de vue à l’extérieur d’un quelconque cocon métallique. Et pourtant, l’impression de murs invisibles se fait d’autant plus oppressante pour le spectateur, rien n’est réellement délimité dans l’espace, aucune lumière ne permet de s’orienter, chaque étoiles semble être la copie de la précédente. Exercice continuel du plan long, et non du plan séquence, Gravity évolue donc dans une logique presque théâtrale du huis-clos, où un duo se trouverait dans une pièce aux contours infinis prêt à se perdre comme à se retrouver à chaque instant. Pourquoi ne pas laisser aller notre fantasme du plan-séquence ? Et bien parce qu’il est objectif d’admettre que le film dans sa totalité ne représente en réalité qu’une poignée de séquences, si ce n’est même un couple de séquences. À la manière d’un Welles, d’un De Palma ou Hitchcock, Alfonso Cuarón nous fait oublier toute tangibilité temporelle en la déconstruisant à chaque étape de son film. Ainsi, ce qui aurait pu apparaitre comme un véritable gadget de cinéphile, devient un outil narratif hors pair.
En l’espace d’un unique plan d’une vingtaine de minutes, le réalisateur mexicain et le coscénariste Jonas Cuarón (son fils) parviennent à développer tous les enjeux scénaristiques du film. Plus que des sueurs froides, c’est une véritable sensation de vertige sécante à la mort s’abattant sur les astronautes qui prend forme. D’une certaine manière tout Gravity s’approche du travail effectué sur l’introduction de La Soif du Mal. Il faudra attendre les dernières minutes du film pour que la caméra virtuose se décide enfin à changer de rythme et à incarner un véritable mouvement contradictoire à celle imposé durant les 90 minutes précédentes. À la manière de son travail sur l’espace sonore, Cuarón et Emmanuel Lubezki – génial compositeur de l’image à qui l’on doit notamment la photo des trois derniers films de Terrence Malick et de la quasi-totalité de la filmographie d’Alfonso Cuarón — réalisent le même travail de dissection sur l’image. En aseptisant tout un mouvement de caméra, celui-ci, même expérimenté et complexe, devient alors un lien inviolable avec le spectateur, et ce qui devient la norme donnera du sens au reste.
Emmanuel Lubezki réalise un travail de lumière impressionnant en parallèle des contraintes données par la méthode de tournage. Là où il n’existe pourtant qu’une lumière frontale, celle du soleil, il découpe un véritable jeu de silhouettes, dégageant de l’obscurité avec précision chaque corps. Une poésie de l’image se met alors en place, ce spot unique, source de toutes les lumières – et de la vie, permet un jeu de lumières presque organique, où le blanc chirurgical des machines, des combinaisons, s’efface de plus en plus, éclairé par cette source de vie naturelle comme par respect et peur de s’exprimer. Ainsi cette lumière unique permet l’espace d’un plan de retravailler et de clarifier la relation noueuse entre l’image et la fiction, l’espace de quelques minutes, Ryan Stone en position foetale, reliée par un cordon duquel sort un flux de lumière presque aveuglant, devient l’humain renaissant.
C’est dans ce style d’images que Gravity confirme son autre force, celle de s’avérer parfaitement limpide et sans concession quant à ses symboliques et ses métaphores. Sans être insistante, sans chercher à brouiller le spectateur par des métaphores alambiquées, la fiction permet ainsi une réflexion cohérente et forte ; cette image du cordon ombilical se retrouve ainsi dans toute la première moitié du film, reliant avec fragilité les deux dernières âmes voguant dans le néant. Gravity nous amène à oublier quelconque considération mystique pour se considérer sur l’humanisme de l’instant présent. La lumière comme source de vie devient le halo de l’ange gardien du Dr Ryan Stone prenant forme l’espace d’un instant avant de revenir concrètement plus tard. Ce souci du détail permet à Gravity de ne jamais accuser une quelconque baisse de rythme et de crédibilité. Loin de l’aspect visuel d’un documentaire, disons estampillé Discovery, Cuarón développe une imagerie forcément trompeuse, surréaliste, mais pourtant non sans une finesse omniprésente. A travers un simple reflet dans un casque, l’on nous renvoie respectivement un esprit terrifié à l’idée de perdre tout contact visuel, puis la beauté de l’espace. Car avant tout, il ne faut pas oublier que Gravity reste un huis clos à une échelle cosmique. Au-delà de cette poésie se trouve un cauchemar aussi noir que le néant dans lequel voguent ses victimes. Et pourtant, il n’est jamais réellement question d’une véritable peur sidérale du vide, et de ce qui peut naitre de celui-ci. Ainsi, même si la menace est clairement représentée par ce flux incessant de débris, la peur, la plus humaine, se développe autour de l’insignifiant. Quelques centimètres à cette échelle deviennent des kilomètres, car dans cet espace sans gravité, louper une accroche peut être synonyme de mort immédiate. Mais en revanche, lorsque notre destin repose directement entre nos mains, c’est à cet instant que le libre arbitre laisse à l’instinct de survie le contrôle total de nos sens.
Ainsi Gravity réussi le pari risqué de nous plonger directement à travers l’un des protagonistes, voir même à faire de nous un protagoniste concret de ce récit cauchemardesque. Alors que Ryan Stone tournoie seule dans l’espace, nous nous confondons avec elle, nous nous dirigeons dans son casque, voyons sa propre vision de ce miasme de terreur dans lequel elle se fond peu à peu. Choisir de tourner certains plans en point de vue subjectif permet d’accentuer cet effet, créant par la même occasion une sensation de perte de soi aliénante et dont il s’avérera ensuite impossible de se débarrasser. Le format cinémascope est lui aussi crucial lorsque l’on nourrit de telles ambitions d’espaces. Quoi de mieux que ce format pour ouvrir notre vision sur l’immensité de cet espace tout en le comprimant dans l’enceinte d’un casque ? Le hors-champ se voit alors proposé de la même manière une place indispensable, continuité de ce casque dont nous ne pouvons nous débarrasser et le reflet, qu’il vienne d’un miroir ou d’un autre casque, devient source d’espoir. Comment ne pas se mettre à la place des protagonistes dont l’on ne fait pas que suivre, mais bien vivre, l’expérience interminable ?
Et pourtant, il s’agissait bien du seul point effrayant de Gravity, son casting remanié à de trop nombreuses reprises. Le duo George Clooney & Sandra Bullock n’avait franchement rien de réjouissant, entre le sourire estampillé Nespresso et une actrice en chute libre, rien de bien rassurant. Et pourtant, le doute est rapidement effacé, et étonnamment c’est de Sandra Bullock que nous vient la plus belle surprise; fatiguée, creusée, voilà comment nous apparait l’actrice lors des premiers plans où celle-ci se dévoile. En jouant de finesse à travers un regard perçant, elle parvient rapidement à briser le 4ème mur pour nous inviter directement au milieu de cette expérience. Puis lorsqu’enfin elle se dévoile, celle-ci fait preuve d’une humanité touchante et incroyable, accroché à la vie par de petites choses insignifiantes. Les forces de l’univers sont alors vaincues, face à la microscopique force de l’humain.
Membres du Jury : Vincent Lindon, Lou Doillon, Jean Echenoz, Hélène Fillières, Xavier Giannoli, Famke Janssen, Pierre Lescure, Bruno Nuytten, Rebecca Zlotowski.
Membres du Jury Révélation Cartier : Valérie Donzelli, Laurence Arné, Vincent Lacoste, Géraldine Maillet, Woodkid
Edition 2013
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50 ans après l’assassinat de J.F Kennedy, la Mostra, Toronto et le festival de Deauville rendent chacun à leur manière hommage à ce triste événement. Mais tous ces festivals on en commun un film: Parkland. Réalisation d’un ancien journaliste d’investigation puis correspondant de guerre et peintre, Parkland, tiré du livre de Vincent Bugliosi : Four Days in November, semblerait s’engager sur la voie de la dénonciation impartiale. Car ce roman, au lieu de se concentrer comme tant d’autres sur les faits survenus le 22 Novembre 1963, se consacre plutôt aux événements suivant l’assassinat du 35ème président des Etats-Unis. Non seulement la théorie du complot n’est jamais réellement soulevée, évitant la redondance perpétuelle de faits déjà-vus et interprétés, mais cette période permet aussi de s’intéresser à l’impact de la mort d’un homme sur toute une population. Produit notamment par Tom Hanks, le film de Peter Landesman ne semble ainsi jamais porter la prétention de critiquer des agissements peu scrupuleux ou d’une logique douteuse dans un contexte de crise. C’est d’ailleurs sur cet élément que l’on trouvera à critiquer dans Parkland, de la part d’un journaliste d’investigation, il était normal d’attendre du film une vision plus globale et riche des événements, hors il laisse à craindre que seule la mise en scène fut considérée comme un outil de réflexion de la part de Peter Landesman, laissant de côté la complexité d’une évolution pour une linéarité bien inadaptée.
Parkland aurait très bien pu être un documentaire. Mais si cette oeuvre en avait pris les formes, Peter Landesman n’aurait surement pas pu évoquer ce qui semble à chaque minute lui tenir à coeur : l’émotion d’un peuple devant la perte d’un grand homme. La mort en elle même de John Fitzgerald Kennedy est entourée de mystères, mais nous en sommes las. Voir et revoir les hypothèses concernant l’assassin présumé du président ne comporte jamais l’aspect humain l’entourant. Tel un morceau de viande, en alimentant ces théories, JFK n’est aujourd’hui devant la communauté internationale que l’homme assassiné le 22 Novembre 1963. Ainsi, même si un nouveau documentaire aurait surement pu rendre hommage à ceux ayant vécu ce triste événement, Peter Landesman décide plutôt de remettre en scène l’assassinat, pour ensuite mieux déconstruire le mythe et le reconstruire autour de ceux qui ont tenté, une minute, ou une journée plus tard, de sauver la mémoire du président. C’est ainsi que s’élance Parkland, déjà ancré dans la salle bientôt mortuaire de l’hôpital éponyme.
Pour mieux nous faire revivre les événements, Peter Landesman décide de mêler, tout du moins durant une première dizaine de minutes, images d’archive et reconstitutions. Habilement, il fait ensuite disparaitre ces premières pour laisser uniquement à la fiction la place de ce mouvoir. Peu à peu, c’est une intrigue à plusieurs enjeux que tente de faire évoluer le réalisateur : celle de l’assassin, des services secrets ou encore du témoin ayant filmé l’assassinat complet de JFK. Cependant, cette mise en place nécessite ensuite un suivi hors-normes tant les personnages se démultiplient. Il n’est ainsi pas rare de se rappeler l’existence d’un personnage à la fin du film ou d’en découvrir un au même instant. Car à l’inverse du documentaire, une fiction nécessite un scénario fort afin de garder la tension durant sa totalité. Peter Landesman ne semble pas se préoccuper de cet argument, laissant à l’Histoire le choix de suivre son propre fil, sans jamais être matée ou contrôlée. Or, de la part de ce vétéran de l’information, il aurait été surement plus judicieux de mieux ausculter certains personnages, chose qu’il ne décide que trop tard en diminuant le nombre d’intrigues en cours de route.
Mais au-delà de ces défauts, tares beaucoup trop importantes pour permettre au film de réellement prendre son envol, Peter Landesman réussi à construire un récit fondamentalement humain. L’hommage n’est ainsi pas dédié à l’homme, mais à ceux qui ont survécu à cette perte, à ceux qui au même instant, ont perdu un être cher. Cette sensation, très forte à travers les personnages des docteurs, l’est encore plus avec le personnage de Jackie Kennedy. Tel un ange protecteur, elle est ici loin de l’image perpétuelle de la femme courant après les morceaux de crâne de son mari. Mais c’est surtout chez les Oswald qu’un travail extraordinaire a été réalisé. Ainsi les passages les plus intéressants du film traitent de la réaction de Robert Oswald, interprété par James Badge Dale, déterminé à faire régner la justice mais aussi à respecter sa famille. Il devient alors le plus objectif parmi une meute de loup assoiffé de sang. Cette course au bouc émissaire symbolise la totalité du film. Plutôt que de pleurer un mort, il semble plus facile de combler un vide par une haine envers un homme qui pourrait être fautif de tous les malheurs du monde. Tel des fossoyeurs, incapable de supporter le regard d’un mort, tous sont pressés d’enterrer l’homme pour avancer vers un autre futur. Il est triste en faisant un tel constant de voir les erreurs de casting accompagnant de si ambitieux personnages. Paul Giamatti a lui seul semble bien déterminé à anéantir la crédibilité de chaque personnage qu’il endosse, et aucun autre protagoniste composant ce microcosme ne parvient à lui donner réellement vie. Ainsi, derrière une mise en scène des plus classiques, Parkland dévoile mais ne rétorque jamais. Coincé dans un cadre qu’il aurait fallu brisé, l’envers de l’assassinat de J.F. Kennedy est trop manichéen pour chercher chez le spectateur une confusion quelconque. Peter Landesman semblait pourtant avoir bien compris qu’en jouant sur de petits détails il était possible de caractériser la valeur d’un homme, et ainsi, lui rendre justice.
Parkland est un récit à double tranchant. Trop classique et trop ambitieux, le film manque surement simplement de visages sincères pouvant supporter de tels aveux. But à moitié accompli par Peter Landesman qui pourra parvenir à toucher, mais sans doute pas convaincre.
Edition 2013
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Chaque année, Deauville a le droit à un ou deux ovnis qui ne semblent pas avoir leur place dans la compétition officielle. Non pas que les films soient mauvais, mais plutôt proposés à un public concrètement inadapté. Blue Ruin en est le parfait exemple, et sa sélection à l’Etrange Festival 2013 confirme la crainte évoquée. Car ce film, déjà présenté à la Quinzaine des Réalisateur de Cannes, est bel bien un film de genre. Il est d’autant plus triste de faire ce constat que le film est parti pour être l’un des meilleurs films de la compétition.
Vigilante anti-manichéeen, porté par la performance incroyable de Macon Blair, le second film de Jeremy Saulnier abandonne toute once de comédie pour ne proposer qu’une épopée noire et déstabilisante. Evidemment, c’est donc du western que Jeremy Saulnier décide de tirer le plus de codes. Créant un microcosme de vengeance ne menant à aucun but apparent, soulevé par un désir violent et presque pervers, le réalisateur propose une odyssée surprenante où de simples personnages, parias par leur aspect ou leur passé, s’entrechoquent dans des accès de rage outre-mesure. Jouant sur un doute perpétuel du spectateur concernant la logique de ses personnages, à l’aide d’une vision minimaliste des dialogues, rares mais primordiaux, le réalisateur se rattrape rapidement en élevant à crescendo la vengeance, qui laisse alors place à une guérilla préventive, elle même source de nouveaux conflits.
Alors que le film démarre sur ce personnage étrange, dont on ne connait rien, aucun indice ne laisse transparaitre la direction sur laquelle bifurquera soudainement le film. D’apparence simple vagabond voguant de maison en maison pour se laver avant de rejoindre son épave roulante, dernier abri le protégeant, Dwight n’est jusque là qu’un échantillon humain. Cependant, c’est in medias res que Jeremy Saulnier décide de nous introduire l’histoire de Dwight. Jamais il n’est question de s’apitoyer sur son sort, pas d’empathie, pas d’accroche émotionnelle sur un personnage nous partageant pourtant une mélancolie pure par le biais d’un simple regard. Et lorsqu’enfin le film se décide à nous donner une clé sur la raison de cette situation, il l’introduit de sorte à nous berner. Là où naît chez le spectateur une empathie naturelle liée au deuil et un sentiment de protection, une vengeance prend en réalité forme. Inutile alors de laisser une place aux mots, le geste est simplement utile. Sans un mot, notre vagabond brise sa routine que nous venions à peine de voir prendre forme pour laisser place à une quête personnelle.
Ainsi, il faudra attendre une nouvelle fois que les mots reprennent leur place pour que le récit puisse évoluer sur une nouvelle ouverture, tiraillant le spectateur et le personnage d’un sentiment de doute permanent.
Néanmoins, Jeremy Saulnier construit aussi habilement un personnage en évolution constante. Dwight, vagabond par choix, ermite par nature dans un univers où la sauvagerie a eu raison de son innocence, se construit une personnalité en perpétuelle évolution. S’adaptant aux choix faits, bons comme mauvais, jamais ce dernier ne cherche à s’arrêter, même en situation sûre. Car malgré la volonté profondément égoïste qui anime dans un premier temps ses choix, les conséquences de ceux-ci ne sont pas sans dommages collatéraux. Tout s’écroule autour de lui, les amis et la famille qu’il a volontairement quitté le quittent avec autant de facilité. Soudainement, le personnage change aussi bien physiquement que psychologiquement, comme si la réincarnation avait été accomplie, que la vengeance avait laissée place à l’instinct naturel de survie, masqué derrière un ressentiment faussement familial. L’homme tue finalement avec autant de facilité si ce n’est plus que celui qu’il recherche. Cette paix utopique, qu’il espérait croiser lors de sa résurrection personnelle, ne pourra être atteinte qu’à la transmission du nouveau fardeau que lui même s’est conçu, fardeau de haines et d’incompréhension.
Une telle force à travers un personnage pourtant si simple n’aurait surement jamais pris forme avec un acteur autre que Macon Blair. Véritable révélation du film, ce dernier nous partage la même mélancolie contagieuse du regard qu’avait porté Javier Bardem dans Biutiful. Véritable canevas à multiples facettes, l’acteur évolue autant que le permet son personnage. Son regard, d’un simple coup d’oeil, annonce la chute ou la réussite de ses espoirs de vie paisible. Quel que soit son état, où l’avancement de son but, l’acteur parvient à retranscrire un jeu en finesse, débordant d’émotions sauvages et imprévisibles.
Car jamais il n’est possible de réellement prévoir comment va progresser l’histoire de Blue Ruin. Imprévisible de bout en bout, le personnage suit respectivement des instincts humains, puis primaires. Les rares instants plus légers sont crées par des personnages miroirs d’un drame qui a indirectement joué un rôle dans la vie de tout un chacun. Comédie il n’y a jamais, si ce n’est pour ressasser un passé comme perdu à jamais, à la fois proche et pourtant intouchable. Un tel passé n’est alors plus envisageable lorsque la machine de la haine, spirale perpétuelle, se met en marche. Pourtant, étrangement, face à tant de violence, le réalisateur cherche tout de même à accomplir jusqu’au bout l’odyssée de son personnage, quitte à faire de lui un monstre traumatisé par ce qu’il vient de mettre en marche. Ce monstre, l’on s’y accroche, seul regard humain dans cette vendetta.
Néanmoins par cette envie d’utiliser les codes de plusieurs genres après avoir quitté le western, le film se perd quelque peu, parfois obscur sur les intentions du personnage principal. Par facilité, l’on pourrait y voir un reflet de la personnalité de celui-ci, mais cette facilité accuse tout de même plusieurs baisses de rythme. Mais ce n’est pas sans un certain plaisir que nous voyons le personnage de Dwight Evans tour à tour chuter pour mieux se relever. Car loin du personnage caractéristique du cinéma américain, Dwight n’est qu’un grand enfant évoluant dans un univers meurtri par les armes.
Ainsi, d’aucun verraient à travers le film émerger l’idée que le film porte cette aspect moralisateur du lobby des armes à feux. Impossible dans un tel contexte de faire abstraction de ce problème social qui justifie à lui seul la totalité du film et les différentes crises qui s’y déroulent. Cependant, le film n’a pas été pensé ainsi, le réalisateur Jeremy Saulnier étant allé jusqu’à couper du montage certaines répliques tranchant dans le vif du sujet pour concentrer le spectateur sur le récit même du film.
Road movie fascinant d’un homme qui n’a plus rien à perdre, Blue Ruin est une oeuvre atypique où la violence devient argument de foi. Parfois perdu entre différents genres, le film se rattrape néanmoins très rapidement pour proposer une vision étonnante de la violence humaine.
Edition 2013
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Cette année, l’hommage dédié à Nicolas Cage représente aussi l’occasion pour lui de présenter en avant-première deux de ses nouveaux films : Joe et Suspect, situés à deux antipodes, l’un traitant d’un aspect noir et réaliste de l’humanité tandis que l’autre s’approche du canevas plus conventionnel du polar. Il s’agit aussi d’une occasion pour lui de se rattraper après les derniers films trop souvent médiocres auxquels il nous avait habitué. Celui qui nous intéresse aujourd’hui est le film de David Gordon Green : Joe. Le réalisateur, dernièrement acclamé pour le film Prince Avalanche au cours du Festival Paris Cinéma, tranche complètement avec la naïveté candide de la vie pour au contraire nous offrir un drame familial noir et dépourvu de toutes concessions. Précis et cru dans sa manière d’aborder son sujet, il n’hésite pas à le traiter de la même manière que ce dernier évolue au fil du récit. En se basant sur l’oeuvre de Larry Brown, David Gordon Green parvient ainsi à capter un fragment du Texas. Récit sombre et pourtant humain, où Joe est juge et victime, criminel et figure paternelle, ce film est aussi l’occasion pour Nicolas Cage de nous rappeler ce qui avait fait de lui l’acteur aujourd’hui reconnu. Car oui, Joe est bien ce qui pourrait être la première figure d’un nouveau Nicolas Cage, loin du superficiel, presque transfiguré dans l’underplaying.
Joe ne nous perd jamais. Et c’est assez rare aujourd’hui pour un film durant presque deux heures pour être noté. Nous tenant constamment en haleine, le réalisateur qui avait su se faire un nom par la comédie réutilise brillamment les différents codes de cette dernière pour nous offrir des pointes de cynisme et d’humour noir parfois oppressantes. Néanmoins jamais le film ne s’efface complètement devant la figure iconique de Nicolas Cage. Car ce sont bien les histoires de deux personnages qui se forment dans ce film : celle de Gary et celle de Joe. Ainsi, si la figure paternelle semble omniprésente, jamais le personnage incarné par Tye Sheridan n’avoue être un enfant, tout au contraire même. Dès que l’occasion lui est donnée, c’est en tant qu’homme que ce dernier agit.
La pointe de cynisme présente n’est jamais source de comique de situation, parsemée et bien dosée, elle permet d’offrir de court instant de joie dans la violence omniprésente que propose Joe. Le personnage même de Joe a perdu de nombreuses années en prison, ce dernier a toujours beaucoup à apprendre de la vie, tout comme Gary, un vagabond vivant aussi bien que possible avec sa famille. Ainsi, selon les nécessités, le duo alterne les positions de père et de fils. Ce lien friable, David Gordon Green le détruit avec autant de facilité par le biais de la relation entre le père naturel de Gary et ce dernier. Avec cette même facilité déconcertante, qui pourtant aurait pu paraître grossière, une vraie empathie naît de cette relation. Empathie s’accentuant quand ce portrait de l’humanité commence à devenir de plus en plus concret. Car Green parvient à nous toucher à l’aide de la figure de son père. Ainsi, même si elle représente à elle seule la négation complète de ce que doit être l’humanité, à travers la courte introduction du film et quelques rires que laisse échapper le personnage, Green construit un personnage simplement détruit par une chose qui jamais ne sera offerte au spectateur.
Pourtant, la figure paternelle que dessine le roman de Larry Brown n’a rien de celle enviable et rêvée, Joe est aussi franc que son image est construite de la manière la plus réaliste possible. Lorsque ce dernier se propose de dépecer un daim, celui-ci n’a rien de fictif, et son dépeçage par Joe nous touche lorsque que l’on sait qu’il n’ose pas à recourir à la violence pour progresser, sauf lorsque ce dernier se retrouve psychologiquement acculé par l’humanité. Ainsi, même si Joe est un homme perdu, sociopathe, il n’hésite pas à proposer une porte ouverte vers un avenir meilleur à toute personne aussi perdue que lui. Sorte de sauveur s’autodétruisant dans l’alcool et un désir refoulé dans la violence, ce sont par ses actes qu’il parvient à donner aux autres la confiance de croire en lui.
Récit intimiste, la caméra alterne une multitude de plans principalement fixes, même si majoritairement sa mise au point et sa frontalité nous colle complètement dans l’intimité des personnages. Lorsqu’elle propose un mouvement, jamais elle ne s’éloigne de l’humain qu’elle dissèque. Malheureusement, la photographie s’avère inégale, alternant de magnifiques plans de nuit, dessinant habilement la stature des personnages y évoluant, et de monotones scènes de jour, uniquement brisées par l’anarchie de la forêt où progressent les travailleurs de Joe. Néanmoins, le travail de David Wingo sur la bande-son s’avère extraordinaire, écrasant ou soulevant l’odyssée de cette nouvelle paternité contre l’indifférence, la musique parvient ainsi respectivement à symboliser l’atrocité de la situation comme la joie d’un instant éphémère.
Mais comment ne pas rester subjugué simplement par le retour de Nicolas Cage à des rôles plus matures ? Utilisé entièrement à contrepoint, il parvient néanmoins à nous procurer une figure extraordinairement humaine, aussi faible que déterminée. Avec cette figure demandant une rigueur et une implication inhabituelle pour l’acteur en vue de ses dernières années d’activités, Nicolas Cage semble bien revenu d’entre les morts. Espérons maintenant que Suspect confirme ce retour pour un acteur qui ne mérite pas de tomber dans les abysses du nanard. Mais Tye Sheridan n’a rien à envier à l’acteur vedette. Le jeune acteur excelle une nouvelle fois dans ce type de personnage. Le professionnalisme dont il fait preuve depuis The Tree of Life puis Mud, faisant parfois de lui le visage d’un archétype détruit par une famille pittoresque, parvient néanmoins sans difficulté à nous fasciner une nouvelle fois, devenant le véritable deuxième visage du dytique que forme Joe. Jamais il ne parvient à assumer la réalité des choses qui pousserait pourtant n’importe quel autre humain à partir, laissant derrière lui les vestiges d’une famille détruite par la pauvreté. Son travail est aspiré par un père ivrogne, destructeur et autoritaire, et sa mère, pourtant au courant des dessous d’une telle relation, n’aspire jamais à une quelconque indépendance. Ce portrait vient compléter celui offert par Nicolas Cage. Celui-ci, déjà perdu dans ses propres problèmes n’hésite pourtant pas à offrir son aide à plus démuni que lui. Tout comme le premier, beaucoup dépendent de lui, et un visage féminin semble être la source d’inspiration que jamais ils ne parviennent à exprimer.
L’autre force de Joe est de construire une figure complexe sans jamais jouer sur la redondance des mots. Ce qui peut être joué est ainsi dénué de paroles. Faith, le chien participe à cette figure, indépendante, mais attachante.
Ainsi, le portrait que dresse chaque personnage participe à une fresque aussi noire que complexe. Cette ambiance qui découle de Joe nous secoue à chaque nouvelle évolution. Sous cette lourdeur, un unique rayon de soleil nous garantit alors un espoir fascinant. Rayon de soleil rapidement écrasé par un final déconcertant, apothéose de la noirceur de chaque personnage, pour enfin ne laisser que le bon dans un unique personnage, élève de cette violence pourtant irrésistible.
Toutefois, une nouvelle fois dans le cinéma de David Gordon Green l’image de la femme semble être dévolu à servir le propos purement scénaristique, si implicitement la condition de la fille est offerte au spectateur par le silence dont elle fait preuve, sa mère, si ce n’est par quelques inserts, ne vit jamais au-delà du cadavre quelle représente. Il en est de même pour la petite amie de Joe, figure trop éphémère pour changer son personnage.
Joe pourrait bien être le grand retour de Nicolas Cage, qui plus est au côté d’un acteur tel que Tye Sheridan en pleine ascension. Oeuvre noire et subversive, Joe confirme que David Gordon Green est un véritable auteur capable de jouer avec chaque genre, tant que ceux-ci permettent une retranscription exact d’une ambiance unique et d’une idée forte.
COMPETITION OFFICIELLE
PREMIERES
HOMMAGES
Ainsi, même s’il ne parvient vraiment jamais à nous étonner scénaristiquement, que chaque acte semble téléphoné dès les premières scènes du précédent, le film a ce mérite de porter plus qu’explicitement la deuxième lecture à laquelle nous a familiarisé jusqu’alors le studio. Et en la rendant explicite, c’est finalement aux enfants qu’elle s’adressera et non plus seulement à l’adulte. C’est peut-être d’ailleurs par ce choix que le film perdra ce dernier public, ne lui proposant alors que de multiples situations à gag, pourtant bien réussis et assumés, reste à voir s’il supportera la seconde vision. Honnête dans ses émotions, il est clair que le film ne tente jamais de porter la même force que son modèle, et même dans ses ambitions. Alors que Pixar nous a accoutumé au dépassement de soi, à l’humanité dans l’inanimé ou le monstrueux, Monstres Academy est plus convenu, voir même plus réaliste dans un certain sens. Ainsi ce n’est plus le dépassement, mais la compréhension de soi qui se dessine en filigrane. Le but n’est plus ici de parvenir à dépasser son statut afin de créer sa place dans le système environnant, mais d’y trouver sa vraie place. Par cette idée le film se rapproche sur certains plans de Happy Feet 2, quoi qu’il ne parvienne jamais à porter le même message d’espoir que ce dernier.
Mais, alors que la première impression que nous avait laissé Rebelle avait tendance à se fragmenter à chaque réflexion (rendant notre article aujourd’hui caduque), Monstres Academy semble porter l’effet inverse, ouvrant chaque réflexion sur de nouveaux horizons d’idées. Ainsi en y repensant, même si Pixar ne signe jamais ici un travail original, il crée des personnages hauts en couleur, avec leur identité propre, ce qui en soit est déjà un travail impressionnant il faut l’admettre. Et même si cette identité unique qui leur est offerte dépend bien trop souvent de comiques de situation, parfois subtils, parfois grossiers, mais surtout voués à ne fonctionner qu’une seule fois, elle nous convie à partager la vie de cette fraternité étrange. Les Oozma Kappa ont ce mérite d’être un condensé improbable de personnalités totalement distinctes, l’arrivée de Sully et Bob ne parvenant bien sûr pas à améliorer l’hétérogénéité ambiante.
Parlons en de nos deux buddys, si d’apparence les deux personnages se dévoilent sur un visage bien plus convaincant – le premier film a pris un gros coup de vieux en matière de textures, c’est sur le développement de leurs deux caractères que les deux s’attachent à nous. Bob dévoile le vrai but de sa vie : celui de devenir une terreur, et Sully s’avère être à l’exact opposé de l’image qu’il laisse échapper aux côtés de Boo dans Monstres & Cie. Créer deux personnages si différents des modèles développés précédemment permet de créer sur quelques plans de belles fulgurances scénaristiques, fulgurances atteignant leurs apothéoses au cours d’un final rendant hommage aux films d’horreur d’antan.
Ainsi, une fois n’est pas coutume, les deux protagonistes principaux portent chacun une personnalité qui n’aura rien à voir avec celle clôturant le film. Don Scanlon investit correctement l’univers de Monstres Academy afin de susciter chez le spectateur un intérêt croissant pour un final normalement déjà connu par la majeure partie du public. L’univers développé est ainsi de l’ordre du comique pur et surtout assumé. Pixar ne cherche peut-être plus à développer de belles histoires comme auparavant, devenant comme un réalisateur unique, satisfait de ses œuvres passées pour se consacrer à quelque chose de plus jovial, de plus léger, mais toujours avec efficacité. C’est peut-être ça qui avait perdu Rebelle, cette volonté de raconter quelque chose qui l’avait déjà été par le studio. Peut-être même que cette compréhension de leurs propres faiblesses leur permettra à l’avenir de développer un nouveau visage du studio.
Monstres Academy développe un buddy movie entrainant et coloré, mais surtout rend explicite sa lecture fine pour la rendre accessible au jeune public auquel il est avant tout adressé. Efficace et amusant, il crée un très beau développement autour de personnages qui ont bercé l’enfance de ceux qui découvriront le film.
Seul dans un théâtre parisien après une journée passée à auditionner des comédiennes pour la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène, Thomas se lamente au téléphone sur la piètre performance des candidates. Pas une n’a l’envergure requise pour tenir le rôle principal et il se prépare à partir lorsque Vanda surgit, véritable tourbillon d’énergie aussi débridée que délurée. Vanda incarne tout ce que Thomas déteste. Elle est vulgaire, écervelée, et ne reculerait devant rien pour obtenir le rôle. Mais un peu contraint et forcé, Thomas la laisse tenter sa chance et c’est avec stupéfaction qu’il voit Vanda se métamorphoser. Non seulement elle s’est procuré des accessoires et des costumes, mais elle comprend parfaitement le personnage (dont elle porte par ailleurs le prénom) et connaît toutes les répliques par cœur. Alors que l’« audition » se prolonge et redouble d’intensité, l’attraction de Thomas se mue en obsession…
Edition 2013
La pluie s’abat tel le grand déluge sur la ville de Paris, l’oeuvre de Desplat s’élance, et nous nous plongeons dans cette salle obscure désoeuvrée et pittoresque où la passion joue avec ses acteurs. Après Carnage, La Vénus à la Fourrure est la seconde pièce qu’adapte Roman Polanski pour le cinéma. Présentée à Cannes cette année, la nouvelle oeuvre du cinéaste franco-polonais ne tourne elle qu’autour de deux personnages. Sorte de retour au sources de la théâtralité cinématographique, là où il avait développé dans son premier film un problème de psychologie humaine dans un huis-clos licencieux, ce dernier se débarrasse de toutes limites pour offrir cette fois-ci à son public un huis-clos passionné et romantique. La pièce éponyme mise en scène par Walter Bobbie s’inspire elle même du roman de Leopold von Sacher-Masoch sans traiter directement de son contenu, permettant ainsi de créer un jeu habile autour de la confusion des espaces et des réalités. À travers cette chasse constante à travers les âmes de ses personnages, Roman Polanski parvient, en remplaçant Nina Arianda par sa tendre Emmanuelle Seigner, à dépasser une nouvelle fois le simple exercice de style en créant une splendide et entraînante fascination autour du personnage de Vanda. Véritable lettre d’amour à sa bien-aimée, Emmanuelle Seigner devient très rapidement la Vénus de Botticelli sortant des eaux, prêtes à satisfaire la passion de son, ou de ses, metteurs en scène. À travers son huis clos, Roman Polanski dresse alors une impressionnante réflexion sur la spatialité de cette salle de théâtre lugubre et sur le microcosme qui s’y développe.
La peur de la redite était la seule crainte naissante autour de ce nouveau projet signé du maitre. Après Carnage, huis-clos habile et fortement théâtral, voir Polanski s’attaquer de nouveau à un huis-clos, et qui plus est, tout aussi théâtral, n’avait rien de réjouissant. Mais pourtant, une certaine curiosité naissait autour de cette histoire d’amour passionnelle et érotique; la présence de seulement deux acteurs à travers une unique pièce et non plus deux couples à travers un appartement démontrait finalement que le réalisateur était tout simplement une nouvelle fois prêt à aller plus loin dans sa réflexion sur le cinéma et ses origines. Ainsi, Roman Polanski parvient à créer une ambiance atypique et fascinante autour de ses deux seuls protagonistes. Sortes de peintures en mouvement, les personnages se confondent tout comme la réalité se fond dans l’imaginaire de Sacher-Masoch. Alors que Vanda s’approche de son rôle par sa simple détermination et son nom prédestiné, Thomas est lui lecteur forcé, presque impropre à la lecture de sa propre pièce. Mais tel un enfant découvrant le premier amour là où il ne l’attendait pas, Thomas transforme le dégout en une passion presque inconsciente. Renversant son rôle, le metteur en scène devient rapidement marionnette de sa propre actrice. Adroitement quand il est question pour Séverin, protagoniste principal du-dit roman, de changer de nom, de devenir le fantasme qu’il a toujours rêver, ce n’est pas à Grégoire qu’il laisse la place, mais à Thomas, le metteur en scène en lui-même. Une mise en abime se forme alors autour de la réalité. Nébuleuse elle se fond et glisse peu à peu dans la fantaisie de la pièce jouée sur scène. Ainsi, si le personnage incarné par Mathieu Amalric apparait évidemment comme un double masqué de Roman Polanski lui même, c’est autour d’Emmanuelle Seigner que se forme le vrai mystère. Vanda ou Vénus ? Telle celle qu’elle joue, elle parait énigmatique, indéfinie. Sa présence même semble être à remettre en question. Alors que la porte s’ouvre sur le théâtre, elle disparait, pour réapparaître soudainement telle la Vénus s’offrant à Séverin dans son rêve ouvrant la pièce. A la manière de la Vénus qu’elle décrit, prête à toquer à la porte de sa prochaine victime, elle joue avec le personnage incarné par Mathieu Amalric.
Ce denier ne parvient jamais à la toucher, tout du moins sous sa forme de metteur en scène, tant qu’il ne semble pas convaincu de son existence, dans un doute presque perpétuel, ce n’est que par la fourrure qu’il parvient à la toucher, à s’assurer de son existence. Et pourtant, l’écriture des personnages parait dans un premier temps étrange et grossière. Emmanuelle Seigner nous fait d’abord douter l’espace d’un instant quant à la crédibilité de son personnage. Violente dans son langage, pulpeuse dans son accoutrement, et surtout à l’extrême opposé de la finesse dont est dotée Vanda dans la pièce, elle parait plutôt comme un fier condensé de cliché préadolescent dont on aimerait taire l’existence. Et pourtant, tout comme elle étonnera Amalric, elle étonnera son public. Passant du coq à l’âne, un nouveau visage parmi mille se développe autour de son personnage au fur et à mesure que le récit avance à crescendo. Emmanuelle Seigner a l’expérience même de la théâtralité, elle a pu notamment l’échauffer à travers une pièce mise en scène par Roman Polanski lui-même en 2003, mais surtout à travers la pièce de Luc Bondy : Le Retour. Dans cette pièce atypique aux idées étranges, elle y joue un personnage similaire, d’abord dominé par la force de la famille dans laquelle elle s’immisce, pour ensuite devenir dans l’ombre, celle qui en tire les ficelles. Ses différents discours, tous ambigus, aucun avéré, alimentent cette vision d’un personnage flou, difficile à cerner, et surtout à croire. Utilisant à bon escient ces outils théâtraux, elle se cache et joue avec une finesse surprenante à travers un personnage pourtant si imprévisible. Celle qui n’était qu’une image physique de la Vénus de Milo ou de Vélasquez devient celle de Polanski, laissant tous les doutes du spectateur à la porte de ce théâtre dans lequel nous nous glissons avec curiosité. Elle devient alors un objet de fantasme à la fois physique et spirituel, à travers ce personnage chimérique. Mais tout du long de cette monté en crescendo presque illimité, presque littéraire, Roman Polanski n’oublie jamais de mettre en place un rythme suave et sensuel, de travailler sur sa mise en scène, et même de créer avec l’aide de son chef-opérateur Pawel Edelman une ambiance unique et atypique dans une salle pourtant si froide et terne.
Ainsi après cette montée sans faille, le film se finit dans une apothéose inattendue, sorte de fantasme inanimé d’un théâtre antique. Emmanuelle Seigner semble alors au cours de celle-ci passer de la figure de la Vénus à celle d’une bacchante amazone, laissant son rôle féminin à la pièce. Pièce dont le seul fragment restant sera Amalric, voué à un délire fusionnel avec sa propre pièce, et se cachant sous l’utilisation intelligente de règles théâtrales basiques. À travers cette découpe de l’évolution du personnage, Roman Polanski crée en parallèle une logique du cadre impressionnante. Alors que la pièce est unique, une multitude de pièces semblent prendre forme, laissant place à la scène, une chambre ou même une scène d’extérieur. Le réalisateur compose alors son espace et son rythme à l’aide de changements d’éclairage soudains, mais invisibles, ou par l’utilisation de l’entracte, sorte de valse de joie naissante entre les deux personnages. La musique d’Alexandre Desplat vient se glisser tel le cœur du récit. Arrivant doucement, ce n’est qu’à mi-parcourt de son morceau que l’on se rend compte de sa présence pourtant vitale dans ce lieu insonorisé où seul l’écho de l’âme se fait entendre. Illusion fantasmagorique où la chevauchée des Walkyries devient simple outil rythmique, où le seul gros plan est celui d’une fermeture éclair glissant doucement sur la peau nue du corps rêvé, elle devient un rêve érotique vécu. Mais La Vénus à la Fourrure se veut aussi comique. De la dualité de ses personnages naît une idée acerbe du personnage féminin et de la création narrative. Ainsi, le metteur en scène déchainé ne se retient plus lorsqu’il est question d’une réflexion critique de son œuvre, ou même de l’art en général. Aveux critiques, il devient lui-même comique tant l’on sait déceler chez l’œuvre de Polanski un malin plaisir à rendre comique les choses âpres de la vie. Pourtant, Vanda lui fera cette réflexion, simple et précise, sur sa voix la plus suave : « Vous avez vendu votre âme pour une allitération? ». Celui qui critique devient le critiqué, alors que la moindre réflexion métaphysique l’exaspère, lui est capable d’utiliser un simple terme sans se douter de la force de ce dernier. Agissant presque comme un enfant, lorsque son téléphone sonne, il hésite d’abord à décrocher, touché par la peur de voir cet être rêvé disparaitre, de voir ce nouveau jouet qui est le sien disparaitre telle une illusion.
Roman Polanski se dévoile comme ce grand enfant, et nous explique ainsi, sous toutes les coutures, son amour presque démesuré et à jamais reconductible de cette femme qu’est Emmanuelle Seigner. À s’y méprendre, on en tomberait presque nous même amoureux.